V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

7. ENTRE FANTAISIE, FANTASTIQUE ET HISTOIRE

La peste ravage l’Emmental suisse dans le téléfilm « Die schwarze Spinne » de Werner Düggelin (1983).

7.7. « Die schwarze Spinne (L’Araignée noire) » de Jeremias Gotthelf

Une nouvelle fantastique du romancier et théologien suisse parue en 1842. – Au XIVe siècle, les serfs de Sumiswald, village de l’Emmental bernois, souffrent de la tyrannie du chevalier Hans von Stoffeln qui vient de demander l’impossible : d’ici un mois, les paysans devraient transplanter une centaine de grands hêtres sur la colline du château pour fournir de l’ombre. Afin de protéger la communauté de ces caprices cruels et arbitraires, Christine, paysanne « étrangère » récemment arrivée de Lindau (sur la rive allemande du lac de Constance), conclut un pacte avec le diable qui lui est apparu sous la forme d’un chasseur et a fait fuir les villageois. Le démon exige en échange de ses services un enfant non encore baptisé et scelle son contrat par un baiser sur la joue de l’étrangère. Puis il déplace la forêt. Mais lorsqu’apparaît un nouveau-né, le curé s’empresse de le baptiser et Christine ressent alors une brûlure douloureuse sur la joue, un grain de beauté qui se transforme en tache noire, puis s’enfle pour devenir une araignée noire. Après une seconde naissance baptisée, un orage éclate et des centaines de petites araignées s’extraient du visage marqué de Christine tandis que le bétail périt dans les fermes voisines. Le prêtre combat la malédiction avec son eau bénite, mais le paie de sa vie. Quant à Christine, elle se transforme elle-même en araignée noire qui sème désormais la mort sous tous les toits ; Hans von Stoffeln et ses chevaliers périssent, la paysannerie est décimée, animaux et récoltes sont condamnés jusqu’au jour où une jeune mère parvient à enfoncer l’araignée tueuse dans le trou d’un montant de fenêtre, où – conclut le vieux narrateur dans un récit-cadre - elle restera prisonnière aussi longtemps que les habitants respecteront les lois divines. – L’araignée noire est considérée comme une allégorie de la peste noire qui n’épargna pas les montagnes suisses vers 1351. Le texte a fait l’objet de diverses mises en musique et adaptations radiophoniques ou scéniques (opéras de Heinrich Sutermeister en 1936/1949, de Willy Burkhard en 1948 et de Rudolf Kelterborn en 1982, etc.).
1920/21Die schwarze Spinne [L’Araignée noire] (DE) de Siegfried Philippi
Turma-Film GmbH, Berlin. – av. Lissy Lind, Olga Engl, Hugo Flink, Charles Willy Kayser, Rudolf Klein-Rhoden, Marga Köhler, Max Ruhbeck, Joseph Roemer, Ortrud Wagner. – Une version libre de la nouvelle de Gotthelf.
1955(tv-mus) Die schwarze Spinne (CH) d’Ettore Cella
SF DRS (Zürich) (DRS 20.10.55 / DRS+ARD 29.2.56). – av. Nata Tüscher (Christine/Schwarze Spinne), Charlotte Sender (la mère), Hans Jonelli (le diable), Derrik Olsen (le pasteur). – L’opéra en 1 acte d’Heinrich Sutermeister (musique) et d’Albert Roesler (livret) dans la version scénique de 1949 enregistrée au Studio Bellerive à Zurich.
1983(tv) Die schwarze Spinne (CH) de Werner Düggelin
Armin Brunner/SF DRS (Zürich) (DRS 6.5.83), 60 min. – av. Annelore Sarbach (Christine), Ruedi Walter (le grand-père), Astrid Keller (la mère), Agnes Fink (le diable), Oscar Sales Bingisser (le paysan), Hans Hoffmann, Jürgen Cziesla, Peter Leu, Valerie Steinmann, Dodo Hug. – Adaptation de Gotthelf à partir d’un scénario de Hansjörg Schneider qui fait clairement allusion aux ravages de la Peste Noire. Werner Düggelin (ancien assistant de Leopold Lindtberg au Schauspielhaus de Zurich) tourne dans les studios de télévision à Seebach (Zurich) et dans l’Emmental avec des amateurs entourés de quelques comédiens professionnels, notamment Agnes Fink, l’épouse germano-suisse de Bernhard Wicki, le comique très populaire Ruedi Walter et la Valaisanne Annelore Sarbach.
Beatrice Kessler et Walo Lüönd dans la version de Mark M. Rissi (1983).
1983* [épisode médiéval :] Die schwarze Spinne (L’Araignée noire) (CH) de Mark M. Rissi
Mark M. Rissi, Eduard Steiner/Pica-Film AG (Zürich), 98 min. – av. Beatrice Kessler (Christine), Walo Lüönd (Rüedu), Peter Ehrlich (le chevalier Hans von Stoffeln), Walter Hess (Polenritter), Henri Rhyn (le diable), Peter Schneider (le curé), Christine Wipf (Mesche/Margrit), Michael Gempart (Hornbachbauer), Fridolin Zaugg, Hannes Dähler, Dominik Dähler, Hans Wittwer et Hans Gaugler (des paysans), Sigmund Oberli (Messmer), Barbara Grimm (Wöchnerin).
Mark M. Rissi prend la nouvelle de Gotthelf comme prétexte afin d’illustrer périls écologiques et défis environnementaux d’aujourd’hui. À cet effet, il l’insère dans un récit-cadre qui se déroule dans le présent, où cinq toxicomanes pénètrent dans une usine de produits chimiques, déclenchant par mégarde une violente explosion. Tandis que la direction de l’usine tente de cacher l’étendue de la catastrophe, les jeunes gens se réfugient dans une ferme. L’un d’eux s’attaque à une vieille poutre pour faire du feu, ce qui fait paniquer le paysan, car une « araignée noire » y serait enfermée et sèmerait peste et désolation ! Trop tard : une des deux jeunes filles toxicomanes s’injecte de la drogue et revit dans ses hallucinations la légende horrifique, tandis que l’autre meurt sur place. Quand le groupe ressort enfin de sa cachette, toute la région est contaminée… Le réalisateur saint-gallois filme entre mai-juin 1983 à une centaine de mètres de la centrale nucléaire de Kaiseraugst (Argovie), dans les parages des châteaux de Thoune et de Gruyères, dans l’Emmental, à Altstätten, Zoug, Albisrieden et dans l’Oberland zurichois. Les images de l’araignée sortant de la joue de Christine sont tournées avec l’apport de trois collaborateurs de Hans-Ruedi Giger (créateur du monstre extra-terrestre d'Alien). La presse n’apprécie pas la mise au pilori des toxicomanes tandis que le puissant groupe chimique bâlois Roche à Kaiseraugst est furieux de la publicité négative, mais le grand public réserve au film un accueil enthousiaste.
2020-2022Die schwarze Spinne / A fekete pók / The Black Spider (CH/HU) de Markus Fischer
Markus Fischer, Judith Lichtneckert, Gábor Rajna, Gábor sipos, Judit Stalter, Alexander von Glenck/Ionart Studio (Budapest)-Laokoon Filmgroup (Budapest)-Snakefilm (Zürich)-Ascot Elite Entertainment Group (Zürich), 116 min. – av. Lilith Stangenberg (Christine), Nurit Hirschfeld (Maria, sa sœur), Anatole Taubman (le diable / le charretier), Ronald Zehrfeld (Hans von Stoffeln), Marin Blülle (Jakob), Philipp Droste (Chrummholzbauer), Mária Dér (sa femme), Marina Gera (Heimisbäuerin), Julia Jakubowska (Grünebäuerin), Ueli Jäggi (le prêtre), Fabian Krüger (le chevalier), Andreas Matti (Ammann), Jesef Ostendorf (Konrad), Marcus Singer (Grünebauer), Narantsogt Tsogtsaikhan (Khan), Alexander von Glenck (le sacristain).
Le film ignore le récit-cadre moralisateur de Gotthelf pour se concentrer sur l’épidémie d’araignées à Sumiswald au XIIIe siècle. Le diable est ici un redoutable bellâtre, un séducteur fin psychologue qui annonce la Renaissance et sème le trouble dans les provinces rurales. Quant à Christine, elle n’est plus une paysanne « étrangère », mais une sage-femme agnostique, volontariste et combative qui se sacrifie pour la communauté alors que les villageois, ben voyons, l’accusent de sorcellerie. Elle a une sœur sage et humaine, Maria, qui prendra sa place. Le vilain chevalier est, lui, un ancien croisé de l’Ordre Teutonique, traumatisé car son roi bien-aimé a été décapité par les Mongols, et qui trompe son colossal ennui en maltraitant la paysannerie locale. Enfin, le curé est un lâche et un bigot qui se dépêche de prendre la fuite, car sa foi est impuissante. Markus Fischer filme son « Gotthelf modernisé », version superficielle et tape-à-l’œil, en Hongrie, dans les décors médiévaux des Korda Studios d’Etyek, à 30 km de Budapest, en ajoutant quelques extérieurs infographiques de l’Emmental.