V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

7. ENTRE FANTAISIE, FANTASTIQUE ET HISTOIRE

Arielle Dombasle en Cunégonde de Thurneck (assise) dans « Catherine de Heilbronn » d’Eric Rohmer (tv 1980).

7.6. « Käthchen von Heilbronn » de Heinrich von Kleist

Das Käthchen von Heilbronn oder Die Feuerprobe, en français : La Petite Catherine de Heilbronn ou L’Épreuve de feu, grand spectacle médiéval en 5 actes (1810). – Au Wurttemberg au XVe siècle, le comte Friedrich Wetter vom Strahl est accusé par la Cour vehmique d’avoir ensorcelé Catherine, 15 ans, fille de l’armurier de Heilbronn Theobald Friedeborn. Elle a tout quitté pour suivre le noble seigneur comme une somnambule. Ce dernier se disculpe en procédant lui-même à l’interrogatoire de la jeune femme (qui le trouble mais qui n’est pas de son rang) et la convainc de retourner chez son père. Revenu sur ses terres, le comte apprend que le Rhingrave vom Stein, envoyé par sa fiancée, la baronne Cunégonde de Thurneck, exige pour elle la restitution d’un fief de trois villes. Puis, traversant ses forêts, il protège la très courtisée Cunégonde des assauts d’un autre amoureux, un Burgrave, et s’éprend à son tour de la dame. En guise de cadeau de fiançailles, il lui offre le triple fief qu’elle convoitait. Cunégonde s’installe en visite chez son nouveau fiancé au château de Thurneck où une servante lui révèle qu’un rêve hante le comte : un chérubin lui aurait désigné une jeune fille comme l’enfant secret de l’empereur, et l’invitée pense que ce rêve la concerne personnellement. Alors qu’elle envisage d’entrer au couvent des Ursulines, Catherine intercepte un message du Rhingrave révélant que celui-ci, fou de jalousie, s’apprête à incendier le château de son comte adoré et se venger de l’inconstante Cunégonde. Alors que la tour est déjà en flammes, Cunégonde force Catherine d’y chercher un étui, dans l’espoir que sa jeune rivale périra. Mais protégée par un chérubin, Catherine revient miraculeusement indemne. En revanche, l’étui, qui contenait le titre de propriété du fief des trois villes, manque. Puis elle est horrifiée en découvrant Cunégonde dans son bain, car la séduisante sorcière est en réalité une vieille femme décatie qui ne doit sa beauté qu’à de faux cheveux, à un dentier et à un corset de fer, raison pour laquelle elle fuit tous les mariages promis après avoir encaissé les dots. Le comte remercie Catherine de lui avoir ouvert les yeux. À Worms, l’empereur scandalisé par la légèreté du comte condamne celui-ci au Jugement de Dieu en affrontant l’armurier Friedeborn. Mais ce dernier refuse le combat et, lors d’un conciliabule secret, le souverain finit par reconnaître sa faute commise avec une bourgeoise seize ans plus tôt, alors qu’il séjournait à Heilbronn pour un tournoi. Devenue la princesse impériale Catherine de Souabe, Käthchen accepte avec joie d’épouser le comte et obtient la bénédiction du vieil armurier Théobald qui s’installe avec le couple à Thurneck.
Sorti à Vienne en 1810 à l’occasion de la célébration des noces de Napoléon et de Marie-Louise, le drame de Kleist, à la fois mystère médiéval et l’histoire d’un amour fou, sera surtout mis en valeur grâce la mise en scène spectaculaire de Max Reinhardt lors de l’ouverture du Deutsches Theater à Berlin en octobre 1905. La pièce a été adaptée à plusieurs reprises en français, notamment par Jean Anouilh en 1966 sous le titre L’Ordalie (un échec public), tandis que Carl Martin Reinthaler a signé un des 9 opéras que cette pièce extravagante a inspirés (1881).
1968(tv-th) Das Käthchen von Heilbronn (DE) de Karl Heinz Stroux (th) et Werner Schlechte (tv)
Schauspielhaus Düsseldorf-Zweites Deutsches Fernsehen (Mainz) (ZDF/DRS 12.5.68), 102 min. – av. Nicole Heesters (Käthchen Friedeborn), Klaus Maria Brandauer (Gottfried Friedeborn, son fiancé), Wolfgang Arps (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Gerda Maurus (la comtesse Helena Wetter vom Strahl, sa mère), Waldemar Schütz (l’empereur), Arthur Mentz (Theobald Friedeborn, armurier de Heilbronn), Wolfgang Haubner (le chevalier Flammberg), Ingrid Ernest (la baronne Kunigunde von Thurneck), Dorothea Kaiser (Rosalie), Wolfgang Grönebaum (Gottschalk, le valet), Maria Alex (Brigitte), Elvira Hofer (Eleonore), Dom de Beern, Jörg Benedict, Ingeborg Weirich Richard Elias, Wolfgang Jarnach, Otto Gries.
Une première captation télévisuelle du texte de Kleist, faite à partir de la mise en scène de Karl Heinz Stroux au Schauspielhaus de Düsseldorf (Stroux est directeur des lieux de 1955 à 1972). Parmi la distribution, Gerda Maurus (jadis la vedette de Fritz Lang dans La Femme sur la lune / Die Frau im Mond, 1929), ici dans son dernier rôle, et en particulier l’Autrichien Klaus Maria Brandauer, plus d’une décennie avant de percer sur le plan international dans Mephisto d’István Szábo (1981), puis de récolter un Oscar à Hollywood pour Out of Africa de Sydney Pollack (1985).
1979(tv-th) Das Käthchen von Heilbronn (DE-RDA) de Fritz Bennewitz (th) et Margot Thyret (tv)
Deutsches Nationaltheater Weimar-Deutscher Fernsehfunk der DDR, Ost-Berlin (DFF 17.11.79). – av. Elke Wieditz (Käthchen Friedeborn), Detley Heintze (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Roland Richter (l’armurier Theobald Friedeborn), Barbara Lotzmann (la baronne Kunigunde von Thurneck), Victor Draeger (l’empereur), Alfred Bohl (l’archevêque de Worms), Linde Sommer (la comtesse Helena Wetter vom Strahl), Karl Abert (Sire Flammberg), Eckart von der Trenck (Gottschalk, le valet), Marianne Epheser (Brigitte), Regina de Reese (Rosalie), Peter Berg (Gottfried Friedeborn, le fiancé de Käthchen), Hasso Billerbeck (le comte Maximilian von Freiburg), Hansgerd Sonnenburg (le Rhingrave vom Stein), Roswitha Marks, Gudrun Volkmar, Ernst Eichholz, Fred Graeve, Christoph Heckel, Bernd Lange, Hans Radloff, Peter Rauch, Ernst Schmidt, Ralf-Peter Schulze, Martin Zehner.
Une des rares mises en scène de la pièce en Allemagne de l’Est, guère appréciée sur place en raison de son contexte tout sauf socialiste.
Pascal Greggory et Pascale Ogier dans « Catherine de Heilbronn » d’Eric Rohmer (1980).
1980* (tv-th) Catherine de Heilbronn (FR) d’Éric Rohmer
Jacques Brua, Nicole Larrieu/Les Films du Losange-Maison de la Culture de Nanterre-Antenne 2 (A2 6.8.80), 138 min. - av. Pascale Ogier (Catherine [Käthchen] Friedeborn), Pascal Greggory (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Jean-Marc Bory (Theobald Friedeborn, l’armurier), Arielle Dombasle (la baronne Cunégonde [Kunigunde] de Thurneck), Daniel Tarrare (l’empereur / Gottschalk, le valet), Marie Rivière (Brigitte), Françoise Quéré (Rosalie / Isaac / le chérubin), Vanina Michel (la comtesse Helena Wetter vom Strahl), Jean Boissery (le Rhingrave [Rheingraf] vom Stein / Georg von Waldstätten / un juge), Daniel Tarrare (Hans von Bärenklau), Gérard Falconetti (le Burgrave / le juge Eginhardt von der Wart), Philippe Varache (le chevalier Flammberg / Friedrich / un juge).
De toute évidence la représentation aujourd’hui la plus connue, la plus intéressante aussi, de ce drame presque trop riche en péripéties, complexe, voire inclassable. Èric Rohmer, ancien critique, jusqu’en 1963 rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, puis cinéaste intellectuel de la Nouvelle Vague s’est, en tant que germanophile lettré, très tôt passionné pour l’univers à la fois extrémiste, passionné et élitaire de Kleist, au point de tourner en 1976 l’admirable Marquise d’O…, production franco-allemande avec Edith Clever et Bruno Ganz présentée à Cannes. D’autre part, son affinité pour un Moyen Âge mystico-légendaire s’est brillamment manifestée avec Perceval le Gallois (1978) d’après Chrétien de Troyes où s’imposait une autre de ses découvertes, Fabrice Luchini. Fort de cette expérience frôlant le théâtre, et pour alterner avec sa série des « Contes moraux », il propose pour le Festival d’Automne à Paris (30.11.79) une mise en scène théâtrale de Catherine de Heilbronn, pièce écrite une année avant le suicide de son auteur et qu’il a lui-même traduite en français, en éliminant certains passages et personnages (par ex. Gottfried Friedeborn, le fiancé de Catherine). C’est dans des décors signés Yánnis Kókkos, aux couleurs chaudes et violentes, qu’il assure aussi la captation de son travail pour Antenne 2 avec toute l’équipe sur place, troupe dont une partie a déjà joué dans son Perceval (Pascale Ogier, Daniel Tarrare, Marie Rivière, Arielle Dombasle, Gérard Falconetti, Jean Boissery), l’autre provenant du Théâtre Nanterre-Amandiers. Le décor accentue l’aspect spectaculaire et fantastique de la pièce, l’attirant vers les contes de Grimm et d’Hoffmann, car il s’agit bien d’un Moyen Âge rêvé, vu par les romantiques du début du XIXe siècle allemand (musique : Beethoven). Ne pouvant s’offrir le spectaculaire et toute l’action physique que mobilise l’intrigue – orage, incendie du château, duels, batailles, poursuites, cour impériale – Rohmer introduit le romantisme à travers l’intervention du surnaturel dans la marche des événements : le rêve est vrai, la réalité est vision, sans justification : la transmission de pensée, dit-il, y est « donnée comme la voie royale, mais normale, de l’amour (…), un amour qui n’est pas l’amour-passion qui aveugle, mais celui qui rend lucide ». On peut regretter l’absence de larges mouvements de caméra, mais le cinéaste est par ailleurs remarquablement aidé par ses comédiens, en particulier Pascale Ogier, Pascal Greggory, Jean-Marc Bory et Arielle Dombasle, au jeu habité, intense et d’une parfaite justesse.
1981(tv-th) Das Käthchen von Heilbronn oder : Die Feuerprobe (DE/AT) de Peter Beauvais
Dieter von Volkmann/Hessischer Rundfunk (Frankfurt am Main) (HR)-ORF (ARD 25.12.81), 120 min. – av. Dietrich Fischer-Dieskau (l’empereur), Marita Marschall (Käthchen Friedeborn), Manfred Zapatka (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Günter Lamprecht (l’armurier Theobald Friedeborn), Cornelia Froboess (la baronne Kunigunde von Thurneck), Hilde Mikulicz (la comtesse Helena Wetter vom Strahl), Horst Christian Beckmann (Gottschalk, le valet), Ernst Fritz Fürbringer (le comte Otto von der Flühe), Rüdiger Kirschstein (Sire Flammberg), Dieter Wernecke (Georg von Waldstätten), Michael Schwarzmaier (Sire Schauermann), Hans Dieter Jendreyko (le comte Maximilian von Freiburg), Lisa Hellwig (Brigitte), Rolf Beuckert et Peter Capell (des chevaliers).
Quelques bizarreries dans la distribution, explicables peut-être par la présence au générique de Peter Beauvais, un pionnier du petit écran en RFA et directeur d’opéra : actrice des Münchner Kammerspiele, Cornelia (« Conny ») Froboess, fut la vedette chantante de comédies musicales pour teenagers allemands durant les années 1950/60. Quant au baryton et chef d’orchestre Dietrich Fischer-Diskau, qui joue l’empereur, c’est un des artistes lyriques les plus célèbres de son temps (interprète de Schubert, Mahler, Brahms, etc.).
1984(tv-th) Das Käthchen von Heilbronn (DE) de Jürgen Flimm
Manfred Kahmann/Schauspiel Köln-Zweites Deutsches Fernsehen (Mainz) (ZDF 21.5.84). – av. Michael Rastl (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Katharina Thalbach (Käthchen Friedeborn), Peter Lehmbrock (l’armurier Theobald Friedeborn), Elisabeth Trissenaar (la baronne Kunigunde von Thurneck), Fred Hospowsky (l’empereur), Brigitte Drummer (la comtesse Helena Wetter vom Strahl), Silvia Fenz (Rosalie), Evelyn Matzura, Rolf Mautz, Burghart Klaussner, Gisela Holzinger, Josef Quadflieg, Werner Brehm, Christoph Hagin, Roland Renner, Rainer Philippi, Lothar Ostermann, Dierk Hardebeck, Jürgen Hilken, Walter Stickan, Claudie Noltensmeyer. – Une mise en scène du Schauspiel de Cologne assumée par son nouveau directeur, Jürgen Flimm.
1988(tv-th) Katarínka z Heilbronnu (CS) de Jozef Bednárik
Divadlo Andreja Bagara (Nitra)-Ceskoslovenská televize (CST), Prag-Barrandov, 115 min. – av. Jana Bittnerová (Käthchen Friedeborn), Andrej Rimko (Meister Theobald Friedeborn, armurier), Marián Slovák (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Eva Matejková (la baronne Kunigunde von Thurneck), Ján Kovácik (l’empereur), Bozena Slabejová (Brigitte), Ján Gresso (le Rhingrave vom Stein), Zofia Martisová (la comtesse Helena Wetter vom Strahl), Adela Gáborová (Rosalie), Dagmar Rúfusová (Eleonore), Stano Král (le comte Maximilian von Freiburg), Ivan Vojtek (Sire Flammberg), Dusan Szabo (Georg von Waldstätten), Ivan Béla Vojtek (Eginhardt von der Wart), Vladimir Barton (le comte Otto von der Flühe), Ján Kusenda (Wenzel von Nachtheim), Ernest Smigura (Hans von Bärenklau), Martin Sebo (Friedrich von Herrnstadt), Kamila Ivanová (la sybille). – Une mise en scène du Théâtre Andrej Bagar à Nitra (Slovaquie) avec la vedette de la troupe, Jana Bittnerová.
1989(tv-th) Das Käthchen von Heilbronn (CH/DE) de Cesare Lievi (th) et Bruno Kaspar (tv)
Peter Keller/Theater Basel-Schweizer Radio und Fernsehen SRF (Zürich)-Zweites Deutsches Fernsehen ZDF (Mainz) (ZDF 15.5.90). – av. Inka Friedrich (Käthchen Friedeborn), Stephan Bissmeier (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Hans-Dieter Jendreyko (Theobald Friedeborn, l’armurier), Gundi Ellert (la baronne Kunigunde von Thurneck), Adolph Spalinger (l’empereur), Barbara Lotzmann (le comtesse Helena Wetter vom Strahl), Marion Reuter (Eleonore), Joerg Schroeder (Sire Flammberg), Gottfried Breitfuss (Gottschalk, le valet), Eva-Maria Duhan (Brigitte), Desiree Meiser (Rosalie), Siggi Schwientek (Gottfried Friedeborn, le fiancé de Käthchen), Bernhard Schnetz (le comte Maximilian vom Strahl), Marcus Mislin (Georg von Waldstätten), Wolfgang Hepp (le Rhingrave vom Stein), Jupp Saile (Friedrich von Hermstadt), Juergen Stoessinger (le juge Eginhardt von der Wart), Lutz Lausemann (le comte Otto von der Flühe), Barbara Lotzmann, Siggi Schwientek, Titus Selge. – Une mise en scène du théâtre municipal de Bâle signée par le poète et dramaturge italien Cesare Lievi.
1991(vd-th) Das Käthchen von Heilbronn (DE) de Thomas Langhoff
Deutsches Theater Berlin (13.12.91). – av. Dietrich Körner, Ulrike Krumbiegel (Käthchen Friedeborn), Daniel Morgenroth (le comte Friedrich Wetter vom Strahl), Kurt Böwe (Theobald Friedeborn, l’armurier), Dietrich Körner (l’empereur), Kai Schulze (Gottfried Friedeborn, le fiancé de Käthchen), Dagmar Manzel (la baronne Kunigunde von Thurneck), Jörg Gudzuhn (le comte de Freiburg), Thomas Neumann (Georg von Waldstätten), Horst Ziemer (le Rhingrave vom Stein), Horst Weinheimer (Friedrich von Herrnstadt), Peter Reusse (le juge Eginhardt von der Wart), Reimar Johannes Bauer (Gottschalk, le valet), Katrin Klein (Rosalie), Klaus Piontek, Peter Borgelt et Günter Sonnenberg (les trois juges), Lissy Tempelhof, Horst Manz, Käthe Reichel, Barbara Schnitzler.
À l’instar de Max Reinhardt en 1905, Thomas Langhoff inaugure sa direction du Deutsches Theater à Berlin avec une mise en scène du superspectacle romantique de Kleist (captation vidéo). Fils du légendaire Wolfgang Langhoff, né en exil à Zurich et surtout actif en RDA, le metteur en scène, acteur et réalisateur de films passe pour un des plus importants hommes de théâtre germanophone.
2004[Käthchens Traum (DE/AT) de Jürgen Flimm. - Arte-Studio Hamburg FilmProduktion GmbH-Letterbox Filmproduktion GmbH-Westdeutscher Rundfunk (WDR)-ORF Wien (Arte 21.12.04), 89 min. – av. Tobias Moretti (Friedrich Strahl), Teresa Weissbach (Käthchen Friedeborn), Ernst Stötzner (Theobald Friedeborn, l’armurier), Julia Stemberger (Kunigunde von Thurneck), Nicolas Bodeux (Heinz), August Zierner et Armin Rohe (deux anges). – Transposition moderne de la pièce dans des laboratoires bio-techniques (scénario : Stefan Dähnert) et filmée dans la Ruhr, à Duisburg, Essen et Herne.]