V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

4. MOYEN ÂGE TARDIF ET RENAISSANCE (XIVe-XVIe s.)

Agnès Bernauer vue par le cinéma français : « Le Jugement de Dieu » de R. Bernard (1952).

4.3. La tragédie d’Agnes Bernauer (1435)

Dans le Grand-duché de Bavière pendant les années 1432-1435. Parce que son fils Albert/Albrecht III de Bavière (1401-1460) a épousé secrètement la roturière Agnès Bernauer, une servante à Augsbourg célèbre pour sa beauté, le grand-duc de Bavière, Ernst von Wittelsbach, le déshérite et désigne son cousin Adolphe comme héritier du titre. Ce dernier décède trois ans plus tard, et sa mort pose à nouveau le problème de la succession, sa disparition risquant de déclencher une guerre civile en Bavière. Le 12 octobre 1435, alors que son fils s’absente à la chasse, le grand-duc de Wittelsbach fait arrêter Agnès, vingt-cinq ans, fabrique contre elle, avec l’aide de l’Inquisition locale, une accusation de sorcellerie et ordonne de la noyer dans le Danube près de Straubing. Apprenant cela, Albrecht incendie plusieurs villages et s’apprête à attaquer Munich, mais des délégués de l’empereur et de l’Église l’en dissuadent. Son père lui transmet le titre de duc et se retire dans le monastère d’Andechs pour y mourir trois ans plus tard. – Le sujet a été repris sur scène avec Agnes Bernauer, tragédie de Friedrich Hebbel (1851) et l’opéra Die Bernauerin du compositeur allemand Carl Orff (1947).
1939/40[Agnes Bernauer, der Engel von Augsburg, un projet de Veit Harlan (aussi auteur du scénario, rédigé à partir de la tragédie de Friedrich Hebbel) pour la Tobis-Film. Le film est annoncé d’abord en été 1939, puis en août 1940, avec son épouse Kristina Söderbaum, abonnée aux rôles de noyées (on l’appelait « die Reichswasserleiche »), pour interpréter Agnès. Harlan y travaille depuis plus d’une année quand Goebbels lui ordonne de l’abandonner pour réaliser à sa place la fresque politico-militaire Der grosse König sur Frédéric II de Prusse. La matière médiévale qui dénonce l’arbitraire de la raison d’État est inadmissible dans le Troisième Reich.]
1949/50 [sortie: 1952]* Le Jugement de Dieu / Agnès Bernauer (FR) de Raymond Bernard
Eugène Tucherer/P.U.B. Française (Paris), 98 min. - av. Andrée Debar (Agnès Bernauer), Jean-Claude Pascal (le prince Albert de Wittelsbach/Albrecht von Bayern), Pierre Renoir (Ernst von Wittelsbach, grand-duc de Bavière), Gabrielle Dorziat (la margrave Josepha), Marcel Raine (Preising, conseiller du duc), Louis Seigner (Liegsalz, bourgmestre d’Augsbourg), Jean Barrère (le comte Törring de Bavière), Georges Douking (le moine Enrique, commissaire de l’Inquisition), Marie-France Planeze (Marie), Olivier Hussenot (Gaspard Bernauer, père d’Agnès), Jean Clarieux (le chef de bande), Daniel Ceccaldi (Théobald), André Wasley (le capitaine), Max Dalban (le boucher), Henri Coutet (Hermann), Gil Delamare, Louis de Funès.
Le film de Raymond Bernard (fils de Tristan), auteur de la plus impressionnante fresque médiévale du cinéma muet français, Le Miracle des loups (1924) qui se déroule aussi au XVe siècle, et du formidable Les Misérables avec Harry Baur et Charles Vanel (1933), démarre sous les meilleurs auspices, mais joue bientôt de malchance. Initialement, le projet est prévu en 1948 pour Max Ophuls, de retour des USA, avec Andrée Debar et Jean Marais. Ce dernier est remplacé par Jean-Claude Pascal (qui fait ses débuts au cinéma), tandis que Françoise Rosay et Erich von Stroheim renoncent. Le scénariste Bernard Zimmer (La Kermesse héroïque) modifie légèrement les faits historiques en accusant le romantisme de ces amours morganatiques : Albert, le prince héritier (Jean-Claude Pascal dans son tout premier rôle), doit aller épouser pour raison d’État Bertha de Wurtemberg, un laideron à la silhouette informe. Il accepte mais en cours de route, lors d’un tournoi à Augsbourg, il est blessé et soigné par le père chirurgien d’Agnès. Coup de foudre. Ils se marient devant Dieu, puis rendent visite à la margrave Josépha, sœur du duc de Bavière et tante d’Albert qui adopte le jeune couple et le soutient politiquement. Très populaire, Albert refuse de répudier Agnès ou d’abdiquer, la guerre civile éclate. Mais le sort des armes lui est défavorable, son armée de gueux recule. Agnès se croit coupable du bain de sang et accepte le Jugement de Dieu par la noyade que lui impose le grand-duc de Bavière. Fou de douleur, Albert se suicide en se jetant à son tour dans le fleuve…
Bernard filme dans le massif de la Forêt-Noire (zone d’occupation française), les régions de Tübingen (Bad Wurtemberg) et de Ratisbonne (Bavière) sur les rives du Danube, puis dans les studios parisiens de François Ier et Éclair à Epinay-sur-Seine. Le tournage s’étire de septembre 1949 à février 1950, mais en raison de grosses difficultés financières, le film ne sort qu’en août 1952 (après une discrète avant-première au festival de Knokke-le-Zoute en été 1951). Public et critiques sont indifférents, c’est un échec immérité car les compositions visuelles ne manquent pas d’attrait, la mise en scène est fluide, les reconstitutions et les paysages allemands sont superbes. Seuls les amoureux, un peu ternes, ne sont pas toujours à la hauteur de leurs rôles. (Pour les aficionados, Louis de Funès joue un homme qui se fait arracher une dent chez le barbier, puis un envoyé du bourgmestre.) - DE: Agnes Bernauer, IT : La strega del Rodano, GB : Judgment of God.
1958(tv) Die Bernauerin (DE) de Gustav Rudolf Sellner
Bayerischer Rundfunk, München (ARD 11.12.58), 105 min. – av. Margot Trooger (Agnès Bernauer), Maximilian Schell (le duc Albert de Wittelsbach/Albrecht von Bayern), Adolf Ziegler (Kaspar Bernauer, père d’Agnès), Ernst Ginsberg (un moine), Hans Clarin (un jeune noble), Hans Baur (le chancelier ducal), Rolf Castell (un jeune noble), Willy Rösner (le maire de Munich), Ludwig Schmid-Wildy (bourgeois de Munich), Karl Schaidler (le juge), Hans Winninger (le commandant), Hans Stadtmüller. - L’opéra en 2 parties du compositeur bavarois Carl Orff (musique et livret), créé en 1947 à Stuttgart.
Brigitte Bardot en Agnès Bernauer, condamnée à mort dans « Les Amours célèbres » (1961).
1961Agnès Bernauer - épisode 3 de Les Amours célèbres / Amori celebri (FR/IT) de Michel Boisrond
Gilbert Bokanowski/Générale Européenne de Films (Paris)-Unidex (Paris)-Cosmos Films (Roma), 130 min./109 min./3e épisode : 30 min. - av. Brigitte Bardot (Agnès Bernauer), Alain Delon (le duc Albert de Wittelsbach/de Bavière), Suzanne Flon (la margravine Ursula), Pierre Brasseur (Ernest de Wittelsbach, grand-duc de Bavière), Jean-Claude Brialy (Eric Torring), Jacques Dumesnil (Hans, le bourreau), Michel Etcheverry (Gaspard Bernauer, père d’Agnès), Hubert Noël (Éric), Pierre Massimi (Otto), Henri Coutet (l’homme rasé), Jacuqes Monod (Preissing), Constantin Andrieux (Karl), Bernard Musson (l’inquisiteur), Maurice Chevit et Paul Amiot (chevaliers envoyés du Gurthenberg), Yves Montand (le comte de Cagliostro, le narrateur).
Divertissement historique franco-italien en quatre sketches, Les Amours célèbres est inspiré des bandes dessinées journalières de Paul Gordeaux parues dans France-Soir. Le scénario de France Roche a été adapté et dialogué par Jacques Prévert - qui fait ici son retour au cinéma après 13 ans de silence. Agnès est le seul épisode dramatique, les trois autres sont des vaudevilles costumés ; tous sont présentés et contés par le comte de Cagliostro qu’interprète Yves Montand. Hélas, l’illustration en Dyaliscope et Eastmancolor est sans relief, et le sketch d’Agnès n’est de loin pas le plus mémorable du film, uniquement le plus onéreux : Brigitte Bardot, mal employée, affublée d’une longue perruque blonde et fort peu crédible en Margot romantique a obtenu 70 millions de francs pour une demi-heure de présence sexy, tandis qu’Alain Delon mime le bel indifférent et Brasseur charge à plaisir. L’option mélo est reprise de Le Jugement de Dieu (cf. supra) : le prince Albert prend les armes contre son père, mais Agnès est enlevée, condamnée pour sorcellerie et jetée dans le Loch, une pierre au cou. Albert se précipite pour la sauver, mais il est emporté avec elle par le courant… Le tournage s’est déroulé aux studios de Boulogne dans des décors signés Georges Wakhévitch et au château de Pierrefonds (Oise). Les autres épisodes sont : 1. « Lauzun » (sous Louis XIV), 2. « Jenny de Lacour » (Paris 1880) et 4. « Les Comédiennes » (sous Napoléon). – DE : Galante Liebesgeschichten, US/GB : Famous Love Affairs, ES : Amores célebres.
1997(tv-mus) Die Bernauerin (AT) de Thomas Langhoff et Claus Viller
Volksoper Wien. – av. Sunnyi Meiles (Agnes Bernauer), Tobias Moretti (le duc Albrecht), Franz Waechter, Dirk Warme, Laszlo Malecky (des jeunes nobles), Erich Padalewski (Kaspar Bernauer), Kai Peterson, Marian Pop, Josef Luftensteiner, Michael Kurz, Bruno Dallansky. – L’opéra de Carl Orff (cf. supra, 1958).
2009(tv-mus) Die Bernauerin (DE) de Hellmuth Matiasek (th) et Peider A. Defilla (tv)
Florian-Stadl Kloster Andechs-WERGO-B.O.A. Videofilmkunst München, 132 min. – av. Christoph Gehr (le duc Albrecht), Julia Urban (Agnes Bernauer), Fred Maire, Winfried Hübner, Reinhold Lampe, Heinz Schmidtpeter. – L’opéra de Carl Orff (cf. supra, 1958) joué au Festival d’Andechs en Bavière, dans l’abbaye des lieux, nécropole royale où reposent le duc Albrecht/Albert III (qui la fit édifier en 1455), divers membres de la maison de Wittelsbach ainsi que Carl Orff.