V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

3. LE SAINT-EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE DU XIe AU XIIIe SIÈCLE

Le docu-fiction « Unter schwarzem Kreuz : Der Deutschritterorden » (2016) de Pawel Pitera.

3.3. L’Ordre des chevaliers teutoniques

L’État monastique des chevaliers Teutoniques est créé en 1226 sur le littoral de la Baltique et s’étend depuis la Vistule jusqu’au golfe de Finlande. Fondé en 1128 à Saint-Jean-D’acre par des marchands de Brême et de Lübeck, cet ordre a initialement pour mission de secourir les pèlerins en Terre Sainte ; il devient un ordre militaire reconnu par le pape Innocent III en 1198. Après les croisades, les chevaliers s’installent en Allemagne, en Hongrie et en Transylvanie, En 1226, afin de protéger ses terres des incursions des tribus prussiennes (restées païennes), le duc Conrad Ier de Mazovie invite les chevaliers allemands à s’installer aux frontières de la Pologne ; le pape et l’Empereur germanique leur garantissent la souveraineté sur tous les territoires païens qu’ils soumettent. La ville de Danzig et la forteresse de Marienburg (Malbork, capitale de l’État) deviennent les hauts lieux de l’ordre, tous les peuples baltes (sauf les Lithuaniens) sont sous son autorité, la Prusse devient terre de colonisation allemande. L’État teutonique est au faîte de son pouvoir vers 1400, mais les excès et le despotisme des moines-chevaliers les rendent impopulaires, leur relation avec la Pologne et la Lituanie se dégradent jusqu’à la défaite militaire des Teutoniques à Grunwald en 1410 (un mythe national en Pologne). En 1525 à Cracovie, le grand maître de l’ordre, Albert de Brandebourg (un Hohenzollern), reconnaît son rapport de vassalité auprès du roi de Pologne Sigismond Ier. L’ancien État teutonique se transforme ainsi en duché de Prusse, vassal du royaume de Pologne.
Nota bene : l’image littéraire, médiatique et cinématographique qu’a laissée l’Ordre teutonique en Occident est généralement négative : alors que les Templiers ont mis fin à leur activité guerrière après l’échec des Croisades au Proche-Orient, l’Ordre teutonique a dirigé ses armées contre diverses régions de l’Europe de l’Est pour y imposer de force le christianisme et leur propre autorité.
1934-36[épisodes :] Ewiger Wald [Forêt éternelle] (DE) de Hanns Springer, Rolf von Sonjewski-Jamrowski et Wilhelm Georg Siehm
Lex-Film/Nationalsozialistische Kulturgemeinde (Berlin), 89 min. - av. Aribert Mog et des amateurs. - Propagande nazie chantant les charmes des forêts allemandes tout en évoquant les combats des chevaliers de l'Ordre Teutonique – une allusion à la future opération « Barbarossa » d’Hitler en 1941 ? - et le soulèvement des paysans (reconstitutions diverses).
Alexandre Newski repousse de terrifiants chevaliers teutoniques dans le chef-d’œuvre d’Eisenstein (1938).
1938*** ® Aleksandr Newski (Alexandre Nevski) (SU) de S. M. Eisenstein. – av. Nicolaï Tcherkassov (Alexandre Nevski), Vladimir Yerchov (Hermann von Balk, chevalier-frère et premier Landmeister de l’Ordre teutonique), Naoum Rogojine (le moine noir). – Les chevaliers de l’Ordre teutonique commandés par Hermann von Dorpat sèment la désolation à Pskov avec une cruauté inouïe (les petits enfants jetés vifs dans le brasier). Alexandre Newski, le prince de Novgorod qui s’était retiré après avoir vaincu les Suédois sur la Neva, se voit forcé de reprendre du service. Il ranime les courages défaillants et le 5 avril 1242, il tend un piège à l’envahisseur allemand et l’attirant sur le lac glacé de Tchoudsk (ou Peïpous) ou la cavalerie ennemie enfermée dans ses lourdes armures se noie. Cette défaite met fin à l’expansion orientale de l’Ordre, une vaine croisade nordique vers la Russie soutenue par le pape Célestin IV et l’empereur du Saint-Empire. – Réalisé en 1938 sur ordre de Staline par le plus grand cinéaste soviétique, qui ne consacre pas moins de 37 minutes à illustrer cette bataille héroïque, véritable symphonie en noir et blanc d’une beauté formelle à couper le souffle (musique : Prokofiev), au point que le spectateur d'aujourd'hui en oublie propagande soviétique, culte du héros sublime face à l’« affreux teuton » et la puérilité de son entourage « populaire ». Tournée de juin à septembre 1938 (titre de travail : Rus’) sur un terrain adjacent aux studios de la Mosfilm, aux portes de Moscou, avec de la neige et de la glace artificielles, cette commande patriotique vise à illustrer le péril nazi dans toute son horreur. Sorti en novembre 1938, le film est retiré des cinémas dès l’accord germano-soviétique en août 1939, puis ressorti d’urgence lors de l’invasion hitlérienne (opération « Barbarossa ») en juin 1944. Après-guerre, le film va faire un tort sérieux à l’image de l’Ordre teutonique. – Pour plus de détails, cf. partie VI - EUROPE DE L'EST.
Ulrich von Jungingen lance l’attaque des Chevaliers teutoniques à Tannenberg (1960).
1960* ® Kryzacy (Les Chevaliers teutoniques) (PL) d’Aleksander Ford ; Zespól Filmowy Studio (Prag), 174 min. – av. Stanislaw Jasiukiewicz (le grand-maître Ulrich von Jungingen), Henryk Boowski (Siegfried der Löwe), Mieczyslaw Voit (Kuno von Liechtenstein), Janusz Strachocki (Konrad von Jungingen), Juliusz Lisowski (Werner von Tettingen). - Le 15 juillet 1410, l’armée des chevaliers teutoniques commandée par Ulrich von Jungingen est battue par les Polonais du roi Ladislas II Jagellon alliés aux Lituaniens de Vytautas le Grand dans la plaine entre Tannenberg et Grunwald. Quelques 8000 hommes de l’Ordre, dont 400 chevaliers et le grand-maître y périssent. L’Ordre teutonique ne se relèvera jamais de cette défaite qui va entraîner un basculement significatif des pouvoirs en Europe orientale. – Fabriquée pour fêter le 550e anniversaire de la bataille pour laquelle on aurait mobilisé 15'000 figurants et 2000 chevaux, cette superproduction nationaliste en Dyaliscope et Eastmancolor du vétéran polonais Aleksander Ford, un ancien stalinien, repose sur un roman d’Henryk Sienkiewicz (l’auteur nobelisé de Quo Vadis) paru en 1900 et remis au goût du jour sous le gouvernement de Gomulka ; selon la production, on compte 32 millions d’entrées lors de sa sortie en salle, après une présentation au Festival de Venise. Les chevaliers polonais y sont quasiment tous loyaux alors que les Teutons sont perfides, dominés par leur rapacité, usant de félonie et de violence, trahissant leur mission d’évangélisation des pays slaves, au point qu’ils finissent par dresser contre eux toute la nation polonaise ainsi que la population paysanne allemande qui s’est réfugiée sur place. Malgré l’assimilation facile de l’Ordre avec les Waffen-SS, le mélange d’intrigue sentimentale et de chronique historique tient la route et la bataille en met plein la vue. - N.B. : En 1968, victime de la vague antisémite qui secoue la Pologne communiste, Ford s’exilera en Israël, au Danemark puis aux USA. – Pour plus de détails, cf. partie VI - L'EUROPE DE L'EST.
1973Herkus Mantas (SU/LT) de Marionas Gedris [Marijonas Giedrys]
Lietuvos Kinostija (Vilnius), 145 min./138 min. – av. Antanas Surna (Gerkus/Herkus Mantas), Eugenia Pleskyté (Kotryna/Catherine), Algimantas Masiulis (Samilis), Stasys Petronaitis (Koltis), Pranas Piaulokas (Auktuma), Algimantas Voscikas (Clapas), Einari Koppel (Hartmut von Grumbach, commandant de l’Ordre teutonique), Aleksandr Vokach (le chevalier Hirhalsas, frère de Catherine), Vytautas Paukste (l’évêque), Styapas Yukna (duc de l’Ordre teutonique).
Lors de sa jeunesse, le Prussien Herkus Monte/Mantas (en latin : Henricus Montemin), chef des anciennes tribus baltiques conquises par l’Ordre teutonique, devient l’otage baptisé et éduqué des chevaliers à Magdebourg où il étudie les tactiques guerrières de l’occupant. Il devient ainsi le chef le plus célèbre du grand soulèvement prussien contre l’Ordre teutonique et les croisés du Nord. Le soulèvement commence en septembre 1260, après la défaite des Chevaliers à la bataille de Durbe puis à Pokarwis (janvier 1261), et va durer quatorze ans. Mantas sera cependant capturé et pendu en 1273. Une grande fresque historique en noir et blanc qui célèbre la résistance locale, un succès populaire considérable sur les écrans de Vilnius, les Lituaniens sous occupation soviétique pouvant aisément s’identifier aux Prussiens sous le joug de l’Ordre teutonique. Adaptation lointaine de la pièce du dramaturge lituanien Juozas Grushas (1957). - GB, US : Northern Crusades.
2004(tv-df) Hermann von Salza – Der Kreuzritter aus Thüringen [Le Croisé de Thuringe] (DE) d’André Meier
Série « Geschichte Mitteldeutschlands » (saison 6, épisode 2), Winifred König/Ottonia Media GmbH-Mitteldeutscher Rundfunk (MDR 7.11.04), 45 min. – av. Berndt Stichler (Hermann von Salza), Marc Richter (l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen), Peter Schulze-Sandow (le pape Grégoire IX), Nikolas Linnenbach (Hermann enfant).
Originaire de Langensalza en Thuringe et quatrième grand maître de l’Ordre Teutonique, Hermann von Salza (1179-1239) est le plus fidèle compagnon de l’empereur excommunié Frédéric II de Hohenstaufen. Installé à Saint-Jean-D’acre dans la forteresse de Montfort (siège de l’ordre), c’est un brillant diplomate qui assiste Frédéric en Terre sainte lorsqu’il s’autoproclame roi de Jérusalem. Il obtient du pape Grégoire IX la levée provisoire du ban contre l’empereur en 1230. À la mort de Hermann, le pape revient sur sa parole. – Docu-fiction tournée en Israël (Acre, Jérusalem, Galilée), en Thuringe (Altenburg, Bad Langensalza, Eisenach, Nordhausen), en Italie (Brindisi, Bari, Rome) et en Pologne (Malbork, Radzyn Chelminski).
2011(tv-df) Krzyzacy / Les Chevaliers teutoniques (FR/PL) de Krzysztof Talczewski
Gastonik Film-Point du Jour-Arte GE.IE-Telewizia Polska-Polski Instytut Sztuki Filmowej (Arte 5.11.11), 53 min. – av. Stanislaw Szmit (Hermann von Salza), Jaroslaw Dariusz Struczynski (Ulrich von Jungingen), Tomasz Knapik (narration).
Docu-fiction sur la fondation de l’Ordre teutonique qui relate notamment les liens du Grand Maître Hermann von Salza (1179-1239) avec l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, dont il est l’ami et le conseiller pendant une vingtaine d’années (cf. supra, 2004). En Terre sainte, Hermann prend part, durant la Cinquième croisade, à la prise de Damiette en 1219. Plus tard, il convainc Frédéric de diriger la Sixième croisade et arrange le mariage entre l’empereur et la fille de Jean de Brienne, roi de Jérusalem. À la fin de cette croisade pacifique, Hermann revient en Europe et œuvre pour lever l’excommunication dont son ami l’empereur a fait l’objet, chose obtenue en 1230. - DE : Die Deutschen Ordensritter.
2016(tv-df) Unter schwarzem Kreuz : Der Deutschritterorden – 1. Die Staatsgründung – 2. Der Untergang (Mission auf dem Baltikum) / Habit i zbroja / Habit and Armour (Les Chevaliers à la Croix Noire) (DE/PL/LT) de Pawel Pitera
Dorota Roszkowska/Ventana Film- und Fernsehproduktion-Arkana Film Studio-Narodowy Instytut Audiowizualny-Artbox-FDR Studio-Film Factory-Mitteldeutscher Rundfunk (MDR)-Arte (PL 1.9.17 / Arte 25.11.17), 2 x 52 min. – av. Stacy Keach (narration angl.). - Un docu-fiction ambitieux détaillant sans fards l’histoire de l’État monastique des chevaliers Teutoniques. La première partie, tournée en Pologne (Torun, Kujawsko-Pomorskie, Gniew, Gdansk, château de Malbork, Cracovie) par un cinéaste polonais tente d’expliquer comment quelques centaines de chevaliers germaniques sont parvenus à fonder un État, la seconde en illustre l’effondrement face à la soif de liberté et d’indépendance de ses sujets.
2018Nameja gredzens / The Pagan King (The Throne Is Yours) (GB/LV) d’Aigars Grauba
Andrejs Ekis/Cinevilla Studio (Slampe)-Platforma Film (London), 114 min. – av. Edvin Endre (le roi Namejs/Namay), Aisté Dirziuté (sa fiancée), James Bloor (Max von Buxhoeveden), Dainis Grübe (Pihto, prince de Saaremaa), Gints Andzäns (Sakens), Armanda Ikalis (Kadags), Elina Väne (la reine Rama), Andris Keiss (Ülups), Ieva Aleksandrova-Eklone (son épouse), James Alexander (Sakaans), Maya Arwen (Sigi), Toms Aunins (Dauguilis), Artürs Skrastins (le pape), Egons Dombrovskis (le roi Viestards/Viesturs/Vester), Igors Selegovskis (le moine).
Un épisode peu connu de la lutte des Lettons, les guerriers païens les plus redoutés de la Baltique (et que même les Vikings respectent), contre la christianisation par l’épée. Leurs terres, situées en Livonie et en Courlande, seront toutefois colonisées par les chevaliers teutoniques du XIIIe jusqu’au XVIe siècle. L’argument du film se base en partie sur la légende de l’anneau de Namejs, symbole du pouvoir royal, récit rapporté dans un roman localement très connu d’Aleksandrs Grins (Nameja Gredzens, 1928). À en croire le scénario, au début du XIIIe siècle, Namay/Namejs, jeune orphelin du royaume de Sémigalie (Latvie), voit son destin basculer quand le vieux roi Vester, mourant suite à un empoisonnement, le désigne comme unique héritier, chargé de résister à l’envahisseur chrétien en unifiant son peuple. Roi fondateur de la nation lettone, Namay affronte victorieusement la puissante armée des Chevaliers teutoniques menée par le fourbe Max von Buxhoeveden, un psychopathe et fils illégitime du pape (lequel ?). Précisons toutefois qu’hormis certaines légendes, aucune source permet de dresser la biographie et la destinée de ce héros national letton. La fresque, hélas mal écrite et sans originalité aucune, est filmée à partir de décembre 2014 sur les terrains des studios de Cinevilla à Slampe (Lettonie) avec le soutien du Centre national de cinéma letton ; le rôle principal est tenu par un Suédois (connu par la série tv Vikings de 2014-16) tandis que son adversaire teutonique est joué par l’Anglais James Bloor (1917 de Christopher Nolan).