IV - ESPAGNE ET PORTUGAL

8. FLANDRES, BRABANT ET PAYS-BAS SOUS OCCUPATION FRANCO-ESPAGNOLE

Till (Gérard Philipe) et son compère Lamme Goedzack (Jean Carmet) dans « Till l’Espiègle » (1956).

8.4. Till l’Espiègle / Thyl Ulenspiegel, farceur et résistant flamand

Till (aussi Tijl Uilenspiegel) est une figure populaire, un joyeux luron et farceur notoire que Charles De Coster (1827-1879), dans son épopée picaresque de 475 pages, La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzack au pays de Flandres et ailleurs (1867), élève à la hauteur d’un héros national, incarnation de l’esprit de l’indépendance de son peuple, luttant avec autant d’héroïsme que de malice contre la tyrannie espagnole et l’Inquisition. Recueil de 96 chroniques cocasses, irrévérencieuses et parfois obscènes, l’ouvrage incarne d’une part le cœur et l’esprit de la Flandre dont il évoque le folklore, le climat et les traditions, mais se dresse aussi contre toute forme d’oppression. Franc-maçon anticlérical, De Coster fâche les milieux conservateurs ; il est longtemps ignoré dans son propre pays, alors que son livre, traduit dans toutes les langues européennes, va connaître un succès universel ; il est considéré aujourd’hui en Belgique comme une sorte de Bible nationale.
Nota Bene : l’authentique Till Eulenspiegel est d’origine allemande (né à Kneitlingen v. Braunschweig, décédé de la peste en 1350 à Mölln, dans le Schleswig-Holstein). Ses facéties de bouffon - qui en font l’équivalent occidental d’un Nasreddin Hodja (Goha) dans le monde musulman – ont inspiré notamment Hans Sachs, Johannes Nestroy, Frank Wedekind, Gerhart Hauptmann, Erich Kästner et Bertolt Brecht. Les titres précédés d’un ® concernent le Till Eulenspiegel germanique du XIVe siècle, à consulter dans la partie 5 du site, « Allemagne »
1936® Till Eulenspiegel : Wie Eulenspiegel ein Urteil spricht (DE) de et avec Theo Lingen.
1936® Till Eulenspiegel : Wie Eulenspiegel sich einmal erbot, zu fliegen (DE) de et avec Theo Lingen.
1936® Till Eulenspiegel : Wie Eulenspiegel zu Marburg den Landgrafen malte (DE) de et avec Theo Lingen. Les trois films de 1936 sont aussi exploités sous forme d’un long métrage, Eulenspiegel, der unsterbliche Spötter.
1946-1949[Tyl l’Espiègle est d’abord un projet d’Abel Gance en Gévacolor (avec la Compagnie Internationale de Films à Bruxelles, octobre 1946), initiative restée sans suite, comme tant d’autres du cinéaste. - À Paris en automne 1949, Gérard Philipe propose à Jean Renoir la mise en scène d’un Thyl l’Espiègle basé sur le best-seller de Charles De Coster, écrit par Charles Spaak d’après un treatment d’Henri Storck et financé par des producteurs franco-belges ralliés autour de P. G. Van Hecke. Renoir relit le roman pendant le tournage de The River en Inde, puis en janvier 1950, s’avoue effrayé par le contexte historique, un « décor de bûchers et d’exécutions ». Il préfère, dit-il, travailler à une œuvre d’amour et de paix : « Si j’avais été à Buchenwald, la vengeance me semblerait certainement une nourriture de nécessité vitale. J’ai eu la chance de n’avoir à trembler que pour ceux que j’aime et pas pour moi-même. Mais j’ai tellement tremblé que tout ce qui me ramène à un état de terreur m’effraie » (Jean Renoir de Pascal Mérigeau, Paris, 2012, p. 694)].
1954® (tv) Till Eulenspiegel malt den Landgrafen von Hessen (DE-RDA) de Hans-Günther Bohm. -– av. Wolfgang Hellmund (Till).
1954® (tv) Till Eulenspiegel beim Bäcker in Braunschweig (DE-RDA) de Hans-Günther Bohm. – av. Wolfgang Hellmund (Till).
1954® (tv) Till Eulenspiegels Reise durch die Luft (DE-RDA) de Hans-Günther Bohm. - av. Wolfgang Hellmund (Till).
1955® (tv) Till Eulenspiegel beim Schmied (DE-RDA) d’Ursula Nonnewitz. - av. Wolfgang Hellmund (Till).
1956® (tv) Till Eulenspiegels neue Streiche (DE-RDA) d’Ursula Nonnewitz. – av. Wolfgang Hellmund (Till).
Gérard Philipe et Nicole Berger menacés par l’occupant espagnol à Damme (1956).
1956Les Aventures de Till l'Espiègle / Die Abenteuer des Till Ulenspiegel (FR/DE-RDA) de Gérard Philipe [et Joris Ivens]
Alexandre Mnouchkine, Francis Cosne, Richard Brandt, Georges Dancigers/Les Films Ariane (Paris)-DEFA-Studio für Spielfilme (Deutsche Film, Potsdam-Babelsberg), 102 min./87 min. - av. Gérard Philipe (Till), Jean Vilar (Don Fernando Alvarez de Toledo, duc d'Albe), Jean Carmet (Lamme Goedzak), Nicole Berger (Nèle), Wilhelm Koch-Hooge (Guillaume d'Orange), Fernand Ledoux (Claes, le père de Till), Elfriede Florin (Soetkin), Erwin Geschonnek (le mercenaire suisse Bras d’Acier/Riesenkraft), Françoise Fabian (Doña Esperanza), Robert Porte (capitaine Juan d’Avila, son mari), Raymond Souplex (Grippesous), Jean Debucourt (le cardinal conciliant), Georges Chamarat (Simon Praet), Gabrielle Fontant (la grand-mère), Margaret Legal (Katheline), Félix Clément (le commandant), Alexandre Rignault (un paysan), Robert Porte, Roland Piétri, Henri Nassiet, Henri Marchand, Roger Monteaux, Lucien Callamand, Jacky Blanchot, Joe Davray, Yves Brainville, Évelyne Lacroix.
Synopsis : C’est la kermesse dans le village de Damme, au nord de Bruges, en Flandre occupée. On y fête le printemps et les jeunes vivent dans l’insouciance malgré les nombreux gibets qui pointent à l’horizon. Le jeune Till, incorrigible facétieux, et Nèle, sa bien-aimée, flirtent dans les dunes. Lorsqu’une des nombreuses patrouilles espagnoles qui sillonnent inlassablement le pays s’égare et s’enfonce dans les sables mouvants, un régiment commandé par le cruel duc d’Albe et ses inquisiteurs part à sa recherche. Dénoncé comme patriote flamand et hérétique par un voisin collabo, le marchand Grippesous, Claes, le père de Till, est brûlé vif sur la place tandis que le village est mis à feu et à sang. Till est témoin du supplice et hurle « vive la liberté ! », un cri qui a force de serment et que son père entend avant d’expirer. Sa mère est abattue d’un coup de mousquet et Till quitte son village, ne pensant désormais qu’à la vengeance. Accompagné de son cousin rondouillard, le jovial Lamme, il entreprend de lutter contre l’ennemi avec, comme seule arme, la malice, le ridicule, l’humiliation de l’occupant. Du haut des clochers du pays, il appelle à la révolte générale. Grâce à la complicité de la belle Doña Esperanza, épouse volage du capitaine Juan d’Avila, il devient bouffon à la cour du duc d’Albe à Anvers et peut ainsi déjouer un complot contre le prince Guillaume d’Orange et les notables flamands qui refusent de jurer fidélité à Philippe II. Quinze mois plus tard, le pays est en guerre. Déguisé en prêtre, Till participe à l’autodafé des écrits luthériens aux côtés d’un curaillon gras et bête tout en apostrophant la foule : « la Sainte Inquisition est une mère pour vous, nous pensons pour vous, surtout gardez vos têtes vides, car si vous lisiez ces textes, vous auriez l’idée de combattre pour votre liberté ! » Puis il recrute des combattants parmi la paysannerie et les encourage à fabriquer des armes en cachette. Il s’en prend ensuite au chef des mercenaires du prince, le Suisse Bras d’Acier (Riesenkraft), embourbé avec ses lansquenets sur les rives de l’Escaut alors que l’armée du « duc de sang » les talonne au sud. D’Albe a brûlé les ponts, les « Gueux d’Orange » ont rejoint leur prince à la nage, mais l’hercule a peur de l’eau et refuse de traverser le fleuve avec ses hommes. Till débloque la situation en lui réservant un bain forcé après l’avoir ricidulisé publiquement. Till est renvoyé au sud par le prince d’Orange où il communique sa combativité aux Gueux. À Damme, Grippesous, enrichi par ses trahisons et qui a des visées sur Nèle, est abattu par erreur par des soldats espagnols. Till et ses hommes piègent les patrouilles ennemies, puis, grâce à leur familiarité avec le rude hiver flamand, les étendues gelées et le patinage à glace sur les canaux qui permet de rattraper même des cavaliers au galop, notre héros arrive juste à temps pour mettre hors d’état de nuire le capitaine Juan, chargé d’abattre le « prince de la liberté » lors des États-Généraux, au moment où l’assemblée proclame son indépendance et brise le sceau royal d’Espagne. Une fois le pays libéré, Till retrouve la douce Nèle qui l’attendait dans leur village.
Claes (Fernand Ledoux), le père partriote de Till, victime de l’Inquisition espagnole.
 Une sorte d’ovni embarrassant dans la production francophone dont l’élaboration mérite de sérieuses explications et commentaires. Gérard Philipe, l’acteur français le plus adulé et le plus admiré des années cinquante, connaît parallèlement une prestigieuse carrière sur scène, notamment au Théâtre National Populaire (T.N.P.) de son maître et ami Jean Vilar à Avignon où il interprète Le Prince de Hombourg, Le Cid, Lorenzaccio, etc. En 1952, il récolte un immense succès sur les l’écrans européens avec Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque, fantaisie historique dans laquelle il manie joyeusement le sabre (quoique loin des prouesses d’un Errol Flynn). Ridiculisant la cour de Louis XV, il séduit en particulier les spectateurs de l’URSS et des démocraties populaires. Ces divers rôles en costumes l’encouragent à se lancer dans l’aventure de Till, soutenu par sa femme Anne, une Bruxelloise. Le livre de Charles De Coster l’habite depuis 1947, lorsque, venu chercher son prix d’interprétation pour Le Diable au corps au Festival de Knokke-le-Zoute, le peintre-cinéphile Félix Labisse lui en a fait cadeau. Till, fanatique de la vérité, ne combat-il pas, comme lui, pour la paix entre les peuples ? Après une vaine tentative auprès de Jean Renoir (1949, cf. supra), Gérard Philipe et Félix Labisse se voient temporairement associés à une production belge de Paul Haesaerts sur Till l’Espiègle avec Vittorio De Sica à la réalisation, projet repris ensuite par le cinéaste Henri Storck sous forme de coproduction franco-belge (H. P. Van Hecke et Armor Films Paris), toujours sans suite. En 1952/53, les Films Ariane d’Alexandre Mnouchkine annoncent la mise en chantier du film sous la houlette de Christian-Jaque, initiative à nouveau ensablée faute de financement. Entretemps, les exploits « patriotiques » de Till et de son fidèle compère Lamme ont été remis au goût du jour grâce à la réédition après-guerre du livre virulent de Coster et à une magistrale bande dessinée flamande qui le popularise parmi la jeunesse (La révolte des Gueux de Willy Wandersteen en 1951/52, parue dans l’hebdomadaire Tintin / Kuifje). Deux ans plus tard, le projet se concrétise enfin, à l’initiative de l’historien de cinéma Georges Sadoul ... à Berlin-Est.
Till, le bouffon-espion engagé par Doña Esperanza (Françoise Fabian) à la cour du duc d’Albe (Jean Vilar).
 L’emballage est inattendu : Gérard Philipe, 33 ans, en sera à la fois la vedette et le réalisateur, fonction qu’il assumera en tandem avec le célèbre documentariste hollandais Joris Ivens (idéologiquement proche de la RDA, interdit de séjour dans son propre pays, privé de son passeport et délégué officiel de la DEFA à Potsdam-Babelsberg) ; Ivens avait déjà publiquement manifesté son intérêt pour le sujet dans une interview du New York Times en mars 1936. Il n’a cependant jamais réalisé de fiction, tandis que Philipe, d’abord homme de théâtre, n’a jamais mis en scène un film. Grâce à l’entremise d’Ivens, la DEFA communiste devient coproductrice avec Les Films Ariane, une coopération culturelle insolite encouragée par la déstalinisation entreprise en février 1956 lors du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (rapport Khrouchtchev). La DEFA envisageait du reste depuis quelque temps la même matière, scénarisée e.a. par Bertolt Brecht et mise en scène par Kurt Maetzig ou Erich Engel. Il s’agit en fait du premier de quatre films français en costumes coproduits avec l’Allemagne de l’Est dans les années 50 (les autres sont Les sorcières de Salem de Raymond Rouleau scénarisé par Jean-Paul Sartre, 1957, Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois, 1959, et Les arrivistes de Louis Daquin en 1960, sans parler du Mère Courage et ses enfants resté inachevé de Wolfgang Staudte, en 1955). On note la participation d’acteurs et de cinéastes ouvertement communistes ou sympathisants (Daquin, Ivens, Sadoul, Le Chanois, Rouleau, Simone Signoret, Yves Montand) ou « compagnons de route », voire affiliés au syndicat de la CGT (Gérard Philipe). Malgré la « Guerre froide », le cinéma français voit un intérêt économique certain à profiter des infrastructures des anciens studios UFA à Berlin-Babelsberg, repris par la DEFA communiste, avec ses techniciens chevronnés et sa main d’œuvre bon marché capables, espère-t-on, de tenir tête aux superproductions américaines. Quant à la RDA, boycottée par l’Allemagne de l’Ouest, elle espère ainsi sortir de son isolement international et doubler le succès de Fanfan la Tulipe en lançant un cinéma populaire de qualité, mais cette fois à message clairement politique. Pourtant, à la veille de l’érection du mur de Berlin, elle mettra fin à cette coopération décevante qui lui aurait coûté « trop de concessions à une définition artistique bourgeoise et réactionnaire » (Alexander Abusch). (En 1975, la RDA produira seule un Till Eulenspiegel de Rainer Simon plus conforme à son idéologie et qui se déroule en Allemagne pendant la guerre des paysans, du temps de Martin Luther.)
Le scénario – auquel Henri Jeanson a absolument refusé de participer - élimine divers passages du roman : Joss, le frère de Claes, disparaît ; Lamme ne court pas à la recherche de sa femme, le duc d’Albe représente seul l’oppresseur et ses démêlés avec Orange sont effacés. Till et sa mère sont torturés, elle en meurt, lui en guérit. Les piquants exploits de Till et de Lamme dans les tavernes de Flandre avec la « Confrérie des Frères de la Bonne Trogne », leurs tours pendables, les « mignonnes filles-folles » ou l’incident du loup-garou sont absents ; Katheline n’est plus hantée par Hansk le diabolique et n’a plus de philtre magique, enfin ce ne sont pas les paroles prophétiques dictées par les grandes ombres de la sorcellerie mais la mort de son père qui permet à Till de prendre conscience des malheurs de son pays. On ne souffle mot de la défaite d’Albe à la bataille de Heiligerlee en 1558 ni des embarrassantes dissensions des provinces éclatées entre catholiques et protestants, et le film finit au moment où les hostilités vont vraiment commencer (la guerre de Quatre-Vingts Ans, dès 1568). En revanche, les allusions à l’Occupation de 1940/44 abondent, avec ces Espagnols sans pitié vêtus de cuir noir comme la Waffen-SS et la guerre du maquis menée par les gueux, tandis que la chanson du film (« Entends-tu cette rumeur qui monte des villages » de Barjavel et Auric) rappelle le « Chant des partisans » dd récente actualité. Par mesure de prudence, Gérard Philipe soumet le script à René Clair, ami et cinéaste renommé, mais, hélas, omet de tenir compte de ses judicieuses remarques : Clair est dérangé par l’association d’un sujet grave et d’un comique de situation, car, écrit-il, ayant perdu père et mère, Till « devrait combattre farouchement et sans la gaieté que vous lui laissez. »
Le tournage en Eastmancolor commence le 27 février 1956 en Suède sur le lac gelé de Tällberg, à 200 km au nord de Stockholm (pour la course de patins finale), mais se sentant incapable de diriger des acteurs, Joris Ivens peine à s’entendre avec son confrère et jette l’éponge après quelques jours ; sa fonction sur le plateau se limite désormais au rôle de superviseur et de conseiller technique pour la DEFA, tandis que Philipe signe seul son film, dont le côté spectaculaire – avec figuration importante et une fort paresseuse bataille – mettent ses nerfs à rude épreuve. Le travail se poursuit jusqu’au 13 juillet en extérieurs aux studios de la Victorine à Nice où l’on érige le petit village de Damme, le château d’Albe et la salle des États-Généraux, en Belgique (à Bruges), enfin dans les studios de Babelsberg (banlieue sud-ouest de Berlin) et à Bitterfeld, Saxe-Anhalt, pour les scènes de guerre. Travaux et déplacements entraînent des coûts exorbitants de 2'090'000 Marks pour la DEFA, soit presque le double d’une production courante, alors que ses attentes sur le plan international seront déçues, car dans leur majorité, les médias occidentaux passeront la participation de la RDA au film sous silence. (Au générique des pays ralliés à l'OTAN, la marque « neutre » Eastmancolor sera remplacée par Technicolor, procédé américain.)
Le campement militaire de Guillaume d’Orange menacé par les troupes du duc d’Albe.
Le campement militaire de Guillaume d’Orange menacé par les troupes du duc d’Albe.
 À revoir le film, on reste étonné de sa naïveté de ton et de son traitement gentillet (aux antipodes de la vision de Charles De Coster), phénomène qui est probablement lié à la personnalité-même de Gérard Philipe, co-auteur du scénario avec René Barjavel (Don Camillo) et René Wheeler (Fanfan la Tulipe et sa guéguerre en dentelles). Bien que le comédien-réalisateur illustre l’atroce mort de Claes dans les flammes et celle de son épouse, et que l’oppression catholico-hispanique bat alors des records (en six ans, près de 8000 personnes sont exécutées, 30'000 dépouillées de leurs biens), jamais le film ne montre son héros tuer un ennemi : il le désarme, le rend inoffensif, le berne, mais laisse vraisemblablement rétorsions et représailles à ses compagnons, hors cadre (l’acteur serait-il hanté par le souvenir de son propre père, membre de la ligue fasciste des Croix-de-Feux, collaborateur actif durant l’Occupation, condamné à mort en 1945 et exilé chez Franco jusqu’en 1968 ?). Même l’ignoble Grippesous qui a livré son père au bourreau échappe à la vengeance de Till - les Espagnols le tuent par erreur - et l’assassin Juan est désarmé par un habile coup de fouet. Dès lors, on peu se demander à quel public Philipe s’adresse, à des préadolescents (qui ignorent tout de l’histoire) ou à des adultes ? Ici, le gros du combat personnel contre l’occupant dont ce Till-Fanfan sort toujours vainqueur consiste à le ridiculiser, d’où une dérangeante dichotomie entre le propos libertaire qui sous-tend et justifie cet enchaînement de séquences sans véritable intrigue et les clowneries ridicules et répétitives dans le clocher des églises, sur les toits de chaumières ou des carrosses, les pirouettes bouffonnes, les pitreries de Lamme, les tartes à la crème à la Mack Sennett, pieds de nez, jets de farine et coups de pied au cul que récoltent ces troupeaux de benêts espagnols si facilement piégés et assommés. On pense inévitablement aux étourdissantes acrobaties d’un Burt Lancaster dans The Crimson Pirate (Le Corsaire rouge) de Robert Siodmak sorti quatre ans plus tôt, mais l’adversaire dudit pirate comme le contexte costumé étaient de pure fantaisie - et la réalisation d’une autre trempe ! Les acteurs haussent la voix comme s’ils étaient sur scène et même Jean Vilar surjoue, campant un duc d’Albe inutilement hystérique. Empêtré dans d’embarrassantes gamineries, Philipe n’arrive jamais à se décider : sérieux ou farce, l’un noyant l’autre ? Quant aux mouvements d’armées, ils sont commentés en off, on ne saurait être assez prudent. Ailleurs, Philipe se penche sur la mélancolie des occupants recrutés de force, démotivés (« les mutins ont tous été pendus », murmure-t-on), loin de leur patrie (air de flamenco), une brève séquence qui s’intègre mal dans le récit. « Pourquoi la guerre ? » demande une villageoise et l’Espagnol de répondre : « No sé »... Ces déséquilibres se répercutent sur les personnages féminins, tous sous-développés : révélée dans Le Blé en herbe d’Autant-Lara, Nicole Berger reste pâlotte et la ravissante Françoise Fabian (future Mme Jacques Becker) fait à peine plus que de la figuration. Un gâchis.
Pour la RDA, alliée de l’URSS, le film sort au pire moment : le 7 novembre 1956, lorsque les blindés soviétiques entrent dans Budapest, écrasent le soulèvement populaire dans le sang et déposent le gouvernement réformiste d’Imre Nagy. Les Parisiens incendient le siège du PCF et prennent d’assaut les locaux de L’Humanité tandis que la presse française établit immédiatement des parallèles entre Philippe II et Staline, le duc d’Albe et Imre Nagy, les rebelles menés par Till et le peuple hongrois assoiffé de liberté (même si le film, dans son mélange de sentimentalité, de burlesque et de pathos semble loin de la réalité brutale du moment). Gérard Philipe est critiqué pour ses liens commerciaux et idéologiques avec l’Est, son « Fanfan la tulipe rouge » descendu par la critique (construction maladroite, rythme insuffisamment soutenu, dialogues ampoulés, séquelles de théâtre, autoglorification gratuite) malgré une fort belle photographie de Christian Matras dont les tableautins s’inspirent des toiles de Breughel, Vermeer et Bernard de Hoog, et de jolis décors de Léon Barsacq. Dans Combat, R. M. Arlaud résume le naufrage : « Il ne suffit pas de bousculer quelques Espagnols, d’arrêter un traître et de briser un sceau royal pour libérer une terre. L’épopée semble réduite aux dimensions d’une bande dessinée pour enfants » (15.11.56). Mais c’est François Truffaut qui s’avère le plus féroce et lui donne le coup de grâce : « Ce n’est pas seulement le plus mauvais film français de l’année, c’est aussi le plus ennuyeux et le plus roué. Techniquement, il est aberrant ; la caméra, derrière laquelle il n’y a personne puisque Philipe, sans arrêt, grimace devant elle, s’évertue à recadrer dans chaque plan une cinquantaine de figurants muets qui se déploient dans une confusion qui porte la griffe du T.N.P. » (Arts, 14.11.56). Till l’Espiègle est interdit aux Pays-Bas à cause de ses piques anticatholiques. En RDA en revanche, c’est le plus grand succès public de l’année 1957, avec 3,4 millions de spectateurs, grand succès également à Moscou, à Pékin et à Tokyo. En raison des vedettes à l’affiche et de l’importante couverture médiatique qui a précédé sa sortie en salle, les recettes du film en France restent honorables (8 millions de spectateurs), mais globalement, le public fait payer au metteur en scène ses accointances communistes, même s’il les réfutera par la suite et condamnera le drame de Budapest. Philippe ne réalisera plus jamais de film. Il décédera quatre ans plus tard, emporté par un cancer. - DE-RFA : Till Eulenspiegel, der lachende Rebell, IT: Le diavolerie di Till, PT : As aventuras de Till, US : Bold Adventure.
1957® (tv) Till Eulenspiegel am Galgen (DE-RDA) d’Ursula Nonnewitz. – av. Wolfgang Hellmund (Till).
1957® (tv) Till Eulenspiegel in Lübeck (DE-RDA) d’Ursula Nonnewitz. – av. Wolfgang Hellmund (Till).
1958® (tv) Till Eulenspiegel in Hamburg (DE-RDA) d’Ursula Nonnewitz. – av. Peter-Paul Goes (Till).
1961/62[(tv) Tijl Uilenspiegel (BE) télésérie de Bert Struys. - Rik van den Abbeele/Belgische Radio en Televisie (Vlaamse TV) (BRT 27.9.61-20.6.62), 20 x 25 min. – av. Senne Rouffaer (Till), Elvire Deprez (Nele), Anton Peters (Lamme Goedzak), Walter Cornelis (le général Charles François Dumouriez), Dora ven der Groen (Soetkin), Vik Moeremans (Gielen), Jan Gorissen (Dargonne), Fons Derre (Sander), Jeff Seulemans (général Verrières), Frank Struys (Wittekop), Frank Aendenboom. – Une curiosité : le générique annonce une adaptation du roman de Charles De Coster, et pourtant, chaque épisode du feuilleton raconte une histoire différente : Tijl et ses partisans affrontent des malfaiteurs en tous genres, de vulgaires bandits, des dirigeants corrompus ou des soldats brutaux. Les extérieurs – en noir et blanc - sont réalisés en août-septembre 1961 dans le Domaine de Bokrijk, au château de Gaasbeek et à Genk. Mais afin de ne pas heurter la sensibilité des Espagnols, et en particulier celle de la reine Fabiola, une aristocrate espagnole (de Mora y Aragón) devenue par son récent mariage avec le roi Baudoin de Belgique (1960) la cinquième reine des Belges, les scénaristes Lo Vermeulen et Karel Jeuninckx ont ignoré le combat contre le duc d’Albe et déplacé l’action du XVIe siècle à l’époque de la Révolution française !]
1964® (tv) Till Eulenspiegel in Berlin (DE-RDA) de Heinz Kögel. – av. Hans Sievers (Till).
1967® (tv) Till Eulenspiegel – 1. Wie man ein Narr wird in schweren Zeiten – 2. Wie man ein Narr bleibt in schweren Zeiten (DE) série de Martin Fric et Marcel Ophuls. – av. Helmut Lohner (Till).
1967® (tv) Till Eulenspiegels lustige Streiche (DE-RDA) de Juan Corelli et Helde Draexler-Just.
1973(tv) Uilenspiegel / Tijl Uilenspiegel (NL) télésérie de Walter van der Kamp
Walter van der Kamp, Rik van den Abbeele/Belgische Radio en Televisie (BRT 9.-19.9.73), 4 x 110 min./15 x 30 min. - av. Wim van der Grijn (Till), Willeke Alberti (Nèle), Rudi Falkenhagen (Lamme Goedzak), Ko van Dijk (Charles Quint), Lex van Delden (Philippe II), Jeroen Krabbé (Don Fernando Alvarez de Toledo, duc d'Albe), Jules Croiset (Klaas, père de Till), Anne-Wil Blankers (Soetkin, mère de Till), Els van Rooden (Katelijne, mère de Nèle), Ton Kuyl (Hans de Dulvel), Lo van Hensbergen (le cardinal), Ben Aerden (le Conseiller municipal), Piet Kamerman (Monnik), Lou Steenbergen (Baljuw), Frans Koppers (Schout), Will van Selst (Kornjuin), Kitty Courbois (Ana de Mendoza, princesse d’Eboli), Guido de Moor (Guillaume d’Orange), Arnold Gelderman (Lamoral, comte d’Egmont), Jan Blaaser (Grijpstuiver / Grippesous), Pleuni Touw (Kalleke, femme de Lamme), Jan van Oostendorp (le bouffon), Rita Marechal (une aristocrate), Jules Harnel (un chevalier), Fred Perrier (le voleur), Elly Ruimschotel (Tonia), Ben Hulsman (Michiel).
Une version du roman de Charles De Coster produite en couleurs par la télévision hollandaise (Algemene Vereniging Radio Omroep/AVRO) à l’occasion de son 50ème anniversaire. Il n’y est plus question de ménager qui que ce soit, après mai 68 et les années de contestation sociale et politique : le cinéaste Walter van der Kamp s’est déjà illustré dans l’épique national en 1977 avec Hollands glorie et en 1984 avec Willem van Oranje (cf. supra, chap. 8.2), fresque dont on retrouve ici le ton un peu scolaire et, détail piquant, l’interprète principal, Jeroen Krabbé, non plus dans le rôle d’Orange mais dans celui de son mortel adversaire, le duc d’Albe. Le téléaste enrichit les épisodes du roman d’une foule de détails (la révolte du comte d’Egmont) et d’anecdotes historiques (Ana de Mendoza, la fameuse princesse borgne d’Eboli, fait une apparition à l’Escorial), s’amusant par la même occasion à dresser des parallèles entre son héros fictionnel et l’antihéros bien réel qu’est le monarque tourmenté d’Espagne, tous deux nés le même jour, le 21 mai 1527 – selon De Coster - et dont le parcours biographique au cours de la guerre des Quatre-Vingts Ans révèle quelques similarités. Mais aussi une différence de taille : Till comme son complice-camarade Lamme restent toujours jeunes, tandis que Philippe II devient au fil des péripéties un vieillard ridé, amer et solitaire. Nèle, sa mère Katelijne et nos deux héroïques compères sont aussi victimes au cours du récit d’ennemis particulièrement vicieux issus de leur propre camp comme Grijpstuiver, cupide et méprisable, ou le traître calculateur Hans de Dulvel, qui se fait passer pour le diable en personne. La série est entièrement tournée – avec fonds bleus - aux Studios AVRO à Hilversum en été 1972, ce qui limite toutefois son attrait et lui confère aujourd’hui un côté vieillot. Les épisodes se suivent sans éclat mais aussi sans ennui, faisant d’abord de brefs allers-retours entre la cour de Charles Quint et la paysannerie miséreuse des Pays-Bas, puis incluant, dès le deuxième épisode, avec l’entrée en scène de Guillaume d’Orange, des séquences oniriques, des rêves et des visions (Charles Quint jugé par le Christ au Paradis), ce qui contribue à donner à l’ensemble de la série une dimension de conte où la magie, voire la sorcellerie dont raffole l’Inquisition trouvent leur compte. Les quatre épisodes suivent assez fidèlement l’intrigue de base : Till est banni de sa région natale pour insubordination au tout-puissant clergé et gagne le Vatican à Rome où il obtient une audience et le pardon papal. Tandis que Charles-Quint est mourant, le père de Till, Klaas, est condamné au bûcher pour avoir renié sa foi catholique. De retour à Damme, le jeune homme et mis à la torture avec sa mère Soetkin ; cette dernière décède. Orphelin, Till persuade son ami Lamme de rejoindre avec lui l’armée des Gueux. En secret, Till cherche aussi à éclaircir l’énigme des « sept fantômes » (les vertus), puis à capturer le soi-disant loup-garou qui terrorise la région (en vérité le traître responsable de la mort de ses parents) tandis que Lamme finit par retrouver Kalleke, sa femme en fugue. Dans le dernier épisode, Nèle sauve Till de la pendaison en acceptant de l’épouser et celui-ci devient capitaine dans la flotte d’Orange, les « Gueux de mer ». Série inédite en dehors des Pays-Bas.
1974/75® Till Eulenspiegel (DE-RDA) de Rainer Simon. - av. Winfried Glatzeder (Till).
1976/77** (tv+ciné) Legenda o Tile / Till Ulenspiegel / tv : Ulenspiegel (La Légende de Till) (SU/DE-RDA), film et télésérie d’Alexandre Alov et Vladimir Naoumov
Mosfilm (Moskva)-Chetvyortoe Tvorcheskoe Obedinenie-Sorien Film-Allianz (Berlin-Ost), version film : 296 min., version tv : 405 min. /6h75 (2 parties de 155 min.+157 min., chacune comportant 4 sous-parties de 70 min. – DFF1 28.9.+5.10.78). - av. Lembit Ulfsak (Till), Natalia Belokhvostikova (Nele), Yevgeny Leonov (Lamme Goedzak), Alla Damidova (Katlina, la mère de Nele), Innokienti Smoktunovski (Charles Quint), Uldis Lieldijs (Lamoral, comte d’Egmont), Lech Skolimovski (Don Fernando Alvarez de Toledo, duc d'Albe), Vladislav Dvorjetski (Philippe II), Igor Ledogorov (Guillaume d’Orange), Oleg Vidov (l’amiral de Lume), Youri Volintsev (Henri, duc de Brederode), Julia Dioshi (la régente Marguerite de Parme), Marguerite Zhigunova (Isabelle de Portugal), Yan Yanakiev (le comte Charles de Berlaymont), Mikhail Ulianov (le charbonnier Claas, père de Till), Larissa Malevannaya (Soetkin, la mère de Till), Anatoly Solonitsin (le poissonnier), Nikolaï Gorlov (Hans), Nicolas Grabbe (l’arbitre), Evgueni Evstigneev (le prêtre), Vadim Zakharchenko (le bourreau), Vladimir Kashpour (le messager), Vladimir Lebedev (un citadin), Sergueï Torkatchevski (le sonneur Pompilius Numan), Igor Yasulovich (le chef des aveugles), Oleg Savosine, Anatoly Yabbrov et Léonid Judov (trois aveugles), Vera Vasilyeva (Kalleken, l’épouse de Lamme), Askold Lasota (Fleming), Emilia Milton (Stevenikha), Anatoly Obukhov (le geôlier), Anatoly Soloviev (Thomas Utenhove), Constantin Tyrtov (le héraut), Svetlana Rodina (la courtisane Carla), Vladimir Shakalo (Riesenkraft, mercenaire suisse), Andreï Iourenev (Philippe de Montmorency, comte de Hornes), Vladimir Dvorshetsky.
Toujours prêt à fustiger les dictatures des autres, l’audiovisuel de Moscou (en collaboration avec Berlin-Est) s’en prend cette fois aux vilains Espagnols du roman de Henri De Coster avec un superspectacle qui ne manque pas d’envergure. On peut ainsi s’amuser de la représentation d’un Till stylisé en « symbole de la liberté », contestataire insolent célébré conjointement par l’URSS de Léonid Brejnev et la RDA d’Erich Honecker… ! Comme dans le livre, le film s’ouvre sur une Flandre insouciante où seules comptent les kermesses, les saucisses et la bière à profusion. Le brave Till et Philippe II sont nés le même jour, mais leurs affinités s’arrêtent là. Gamin des rues, Till joue des tours pendables à tout ce que la société compte d’hypocrites, d’égoïstes, de bigots (depuis un balcon, il urine en groupe sur les curés), chaparde et ridiculise bourgeois, aubergistes, faux aveugles, notables corrompus et vils commerçants prêts à vendre leurs voisins pour de l’argent, un héritage ou une situation. Pour avoir insulté un moine prévaricateur, Till, à présent jeune adulte insouciant, indiscipliné et coureur de jupons, quoique toujours attaché à Nèle, son amour de jeunesse, est banni pour trois ans des Flandres et envoyé en pèlerinage à Rome afin d’y obtenir une indulgence du pape. En cours de route, il entre passagèrement au service du vieux Charles Quint comme trompettiste ; parce qu’il a mal joué, l’empereur le condamne au gibet mais convient de le relâcher si le jeune homme lui demande une faveur qu’il ne pourrait accorder. Malicieux, Till lui demande de baiser son postérieur et, éclatant de rire, Charles Quint le laisse filer. Peu après, sénile, il abdique en faveur de son fils Philippe II. À son retour d’exode, Till apprend que son père Claas, un marchand de charbon, a été dénoncé à l’Inquisition par un poissonnier qui convoitait ses économies. Refusant de révéler où il a caché ses ducats dont le gouvernement veut s’emparer, Claas est accusé d’hérésie et périt sur le bûcher. Son épouse Soetkin, broyée, le suit dans la mort tandis que Till hurle sous la torture mais survit. Katlina a appris à sa fille Nèle comment voir à distance, mentalement, pour ne pas perdre de vue son bien-aimé Till quand il vagabondait à l’étranger. Un voisin la dénonce comme sorcière et, ses jambes écrabouillées, elle bascule dans la folie sous les tenailles du bourreau. Désormais, les farces de l’orphelin se transforment en arme politique. Après avoir vengé ses parents en poignardant le félon qui les a livrés, puis participé au saccage des iconoclastes réformés dans les églises en 1566, Till assiste horrifié en août 1567 à la décapitation ordonnée par le duc d’Albe des comtes d’Egmont et de Hornes sur la Grand-Place de Bruxelles. Guillaume d’Orange ouvre les hostilités contre Albe, c’est la guerre. Till, Nèle et leur ami, le grassouillet, jovial, paresseux et toujours affamé Lamme Goedzack, traquent, trompent et égarent les Espagnols dans tout le pays, mais, cachés parmi la plèbe dans les bas-fonds, ils s’attaquent également aux nombreux sympathisants, aux collabos secrets, aux espionnes nichées dans les lupanars et aux traîtres parmi les Flamands. Faute d’être rémunérés, les mercenaires d’Orange refusent de combattre, la situation devient critique, le pays étouffe sous le joug du tyran. Pour rejoindre la côte et s’enfuir, Till parvient à franchir l’encerclement des troupes d’Albe en simulant un grand cortège de mariage avec Nèle, qu’il épouse effectivement peu après. Le trio s’engage à bord de la flottille des « Gueux de mer » où Till se distingue lors d’une bataille navale et gagne ses galons de capitaine, puis se met à harceler l’adversaire tout en pillant les garde-mangers des monastères pour se nourrir. Les régions côtières demeurant fermement tenues par l’Espagnol, Guillaume d’Orange ordonne à Till de détruire digues et écluses du Nord afin d’inonder le territoire et pouvoir attaquer les villes tenues par l’ennemi depuis ses navires. Till fait ainsi canonner les cités de l’intérieur jusqu’à la reddition des autorités et la victoire finale dans le pays. La dernière séquence montre le héros épuisé sur la plage, sans réaction, sans vie. Nèle panique, un inquisiteur réjoui et des fossoyeurs s’emparent du corps, creusent une tombe et recouvrent le jeune homme de sable quand une main tendue surgit du sol : Till ne peut mourir, le monde encore en chaînes a besoin de lui ! Il sort de son trou, son entourage épouvanté prend la fuite, Nèle lui saute au cou, folle de joie. En quittant les lieux, le couple tombe sur un trio d’adolescents, deux garçons, une fille, étrangement complices et ressemblant à ce que fut le trio Till-Lamme-Nèle vingt ans plus tôt : la légende continue...
Le même jour naissent le futur Philippe II, fils de Charles Quint, et Till, fils du charbonnier Claas.
Till, Lamme et la flotte des « Gueux de Mer » qui canonne les garnisons espagnoles.
 Le cinéaste ukrainien Alexandre Alov, « artiste du peuple » médaillé pour sa participation à la défense de Stalingrad, a travaillé jusqu’à son décès en tandem avec son camarade de classe Vladimir Naoumov dans une filmographie certes académique mais qui, annonçant un lent dégel, rompt avec les canons du réalisme socialiste. Chargés de la confection de cette Légende de Till, ils ne lésinent pas sur les moyens : deux ans de tournage, 5000 figurants, photo en Sovscope 60 et Sovcolor, extérieurs en Pologne (Gdansk, forteresse teutonique de Mariembourg à Malbork), en Lettonie (Riga, embouchure de la Daugava, Jürmala et les rives du Lielupe), en Estonie (rue Katalina Kyik à Tallinn), intérieurs aux studios de la Mosfilm à Moscou. Une durée record de 5h11 minutes, une double exploitation en salle et au petit écran dans une version plus longue encore (mais le roman n’est pas un livre de poche non plus). Till est campé par le séduisant Estonien Lembit Ulfsak, 30 ans, 1m90, blond, filiforme, membre de la troupe du théâtre de la jeunesse de Tallinn et qui incarnera notamment Jacques Paganel dans une version russe des Enfants du capitaine Grant d’après Jules Verne (1985). Le résultat ne passe pas inaperçu et, aujourd’hui encore, se laisse voir agréablement pour autant qu’on assume sa redoutable longueur. Comparée à la télésérie néerlandaise en studio de 1973 (cf. supra), cette approche soviétique en constitue sur bien des points l’exact opposé : filmé à 80% en extérieurs naturels, souvent de vastes et majestueux paysages (pas très flamands, il est vrai, mais qu’importe) ou dans d’authentiques cités du XVI-XVIIe siècle avec un soin du détail juste, une tendance au réalisme sombre, dramatique voire mélodramatique, un appétit pour la description des bas-fonds crasseux, une galerie peuplée de têtes peu ragoûtantes, grimaçantes, des silhouettes difformes, édentées, sales et affamées rappelant la peinture hollandaise de l’époque – qui contrastent avec la beauté élancée et pure du jeune couple rebelle et quelques touches poético-allégoriques. On est aussi aux antipodes du Till bon-enfant de Gérard Philipe et ses tours gentillets en 1956. Par ailleurs, l’ensemble frappe par son anticléricalisme primaire : tous les hommes d’église sont sans exception soit fourbes, soit bêtes et adipeux, mais lorsque la population flamande détruit les statues religieuses à la fin, Till commente sans illusion : « Voilà qu’on remplace des idoles par d’autres ! » Par conséquent, aucune allusion n’est faite à la guerre civile et religieuse qui aboutira à la séparation entre la République protestante des Province-Unies (Hollande) au nord et la Flandre et la Wallonie catholiques au sud. Le film récolte trois prix au festival d’Erevan 1978 : le prix spécial du jury pour le meilleur film, le prix de la photo et celui de la direction artistique (décors). Diffusion à la télévision en Allemagne de l’Ouest (ZDF, 3.-10.4.1977, dvd 2012), en Autriche (ORF2 17.1.78) et, compliments, en Belgique (BRT, mars 1979). – Long métrage en deux parties : 1. Pepel klassa / Die Aschen von Claas [Les Cendres de Claas] et 2. Da zdravstvuyut nishchie ! / Es leben die Bettler ! [Vive les Gueux !] – Télésérie en 4 parties : 1. Die Verbannung – 2. Das Blutgericht – 3. Um Kopf und Kragen – 4. Land unter.
1983® (tv) Till Eulenspiegel (AT) de Johannes Hoflehner. – av. Johannes Silberschneider (Till).
2014® (tv) Till Eulenspiegel (DE) de Christian Theede. – av. Jacob Matschenz (Till).