IV - ESPAGNE ET PORTUGAL

4. PHILIPPE II, PRINCE DE LA CONTRE-RÉFORME

4.3. « El alcalde de Zalamea » de Pedro Calderón de la Barca

« El alcalde de Zalamea o El garrote más bien dado » (« L’Alcade de Zalamea »), pièce en trois actes et cinq tableaux représentée en 1636. – En été 1580, l’armée de Philippe II part à la conquête du Portugal, commandée par le vieux général Don Lope de Figueroa (1520-1585). De passage à Zalamea de la Serena (Estrémadure) avec son régiment, le capitaine Don Alvaro de Ataide prend logis chez un riche paysan, Pedro Crespo. Apprenant que celui-ci lui cache sa fille Isabella, il fait en sorte de la rencontrer. Fou de désir, il neutralise Crespo avec ses lansquenets et enlève Isabella pour la violer. Le lendemain, Isabella, déshonorée, demande à son père de la tuer. Crespo refuse, mais en rentrant au village, il apprend que la commune l’a nommé juge (alcade). Il rencontre le violeur que Pedro, son fils, a blessé en duel et le supplie à genoux d’épouser sa fille. Don Alvaro répond par le mépris : seul un tribunal militaire et non de vulgaires paysans peuvent le juger. Crespo le fait arrêter et le condamne à mort. Entretemps, le général de Figueroa a été mis au courant de l’incident, mais son intervention pour relâcher son officier n’aboutit pas. La soldatesque fait face au paysans indignés, la menace est à son comble quand survient le roi en personne. Philippe II exige qu’on libère le coupable, mais il est trop tard : il a été exécuté. Sur quoi le monarque examine les dossiers, reconnaît la validité du jugement et nomme Crespo alcade à vie de Zalamea. - Une dénonciation du pouvoir inique des « puissants » et de leurs militaires sur les « vilains », les roturiers. Le roi justicier est ici symbole d’une monarchie bien comprise et respectée par Calderón. – Nota bene : une pièce homonyme est attribuée au prolifique contemporain Lope de Vega (datation inconnue).
1914El alcalde de Zalamea (ES) de Juan Solá Mestres, Alfredo Fontanals, Adrià Gual
Adrià Gual/Barcinógrafo S.A. (Barcelona), 49 min. - av. Enrique Giménez (Pedro Crespo), Maria Mestres (Isabel Crespo), Joaquin Carrasco, J. Munt Rosès, Pio Davi, Manuel Sirvent.
1920Der Richter von Zalamea (DE) de Ludwig Berger
Erich Pommer/Decla-Film-Gesellschaft Holz & Co./Decla-Bioscop AG (Berlin), 2186 m./87 min. - av. Albert Steinrück (Pedro Crespo), Lil Dagover (Isabel Crespo, sa fille), Agnes Straub (Chispa), Heinrich Witte (Don Alvaro de Ataide), Elisabeth Horn (Inés), Hermann Vallentin (gén. Don Lope de Figueroa), Lothar Müthel (Juan Crespo), Max Schreck (Don Mendo), Helmuth Krüger (Nuno), Ernst Legal (le sergent), Ernst Rotmund (Rebolledo), Armin Schweizer (le roi Philippe II).
Le jeune Ludwig Berger, brillant homme de théâtre pétri de culture littéraire, musicologue, disciple surdoué de Max Reinhardt, passe à la réalisation avec cette adaptation de Calderon sous la houlette du producteur légendaire Erich Pommer. Devant la caméra, on trouve la crème du cinéma allemand, tandis que Hermann Warm (Le Cabinet du docteur Caligari) crée de séduisants décors « hispanisants » sur les terrains des studios Bioscop-Atelier à Neubabelsberg. Max Schreck, l’inoubliable vampire de Nosferatu, fait ses débuts au cinéma. Critiques et public applaudissent (film perdu).
1926/27The Night of Love (La Nuit d’amour) (US) de George Fitzmaurice
Samuel Goldwyn/Goldwyn Pictures-United Artists, 2462 m./84 min. - av. Ronald Colman (Montero), Vilma Banky (la princesse Marie de France), Montagu Love (Bernardo, duc de Garda), Nathalie Kingston (Doña Beatriz), John George (le bouffon), Gibson Rowland et Bynunsky Hyman (des bandits), Laska Winter (la fiancée gitane), Sally Rand (la danseuse gitane).
Dans un vallon des Pyrénées au XVIe siècle, Montero, fils d’un chef gitan, est sur le point de se marier selon les coutumes de son clan lorsque survient l’arrogant duc de Garda, entouré de sa soldatesque, et fait valoir son « droit de cuissage ». Il emmène la bohémienne de force et la rend le lendemain, morte : la malheureuse a préféré le suicide au déshonneur. Montero jure de la venger et devient hors-la-loi. Lorsque le duc se marie avec la princesse Marie de France, nièce du roi, Montero et ses bandits enlèvent les époux et les enferment dans un château abandonné au bord de la mer. Le duc est brûlé au fer rouge au visage puis relâché. La duchesse se jette par la fenêtre, les gitans la soignent et lui expliquent les raisons d’agir de Montero. Troublée, elle s’éprend de son ravisseur, mais retourne néanmoins auprès de son époux qui la reçoit ivre, en pleine baccanale. Déguisé en prêtre, le félon surprend la confession d’amour de Marie pour le gitan et ordonne son incarcération. Montero, tombé dans un guet-apens, est capturé et condamné au bûcher. Alors que les flammes s’élèvent, il parvient à convaincre la population de se rebeller et, aidé par ses romanichels, il tue le tyran.
Une adaptation très, très libre, assez typique du Hollywood muet – mais Calderón figure bien au générique, et le scénario se permet aussi quelques emprunts à La vida es sueño de Calderón. George Fitzmaurice, artisan fort apprécié par les studios des années vingt-trente (il dirigea Rudolf Valentino dans The Son of the Sheik et Greta Garbo dans Mata Hari), réunit le couple-vedette à la mode, l’Anglais Ronald Colman et la blonde Hongroise Vilma Banky, qu’il dirige avec efficacité dans un impressionnant décor de forteresse érigé sur le backlot de Culver City et qui a déjà servi pour deux autres médiévaleries, In the Palace of the King (1923) d’Emmet J. Flynn et Bardelys the Magnificent (1926) de King Vidor. L'intrigue est sans surprises, la débauche ducale frise la censure, les costumes sont improbables, mais qu’importe ! - ES : Venganza gitana, IT : La notte dell’amore, DE : Nacht der Liebe, AT : Die Nacht der Vergeltung, Das Recht der ersten Nacht.
1953El alcalde de Zalamea (ES) de José Gutiérrez Maesso
Jesús Saíz/Cinesol (Madrid)-Aguila Films S.A. (Madrid), 88 min. - av. Manuel Luna (Pedro Crespo), Isabel de Pomés (Isabel Crespo), José Marco Davó (gén. Don Lope de Figueroa), Alberto Bové (Rebolledo), Alfredo Mayo (cpt. Don Alvaro de Ataide), Fernando Rey (le roi Philippe II), Mario Berriatúa (Juan Crespo), Juanita Azores (La Chispa), María Fernanda D’Ocón (Inés), José Orjas (Don Mendo), Casimiro Hurtado (Eniges), José Prada et Francisco Bernal (des paysans). - Adaptation classique – la première en Espagne depuis 1914 -, mais cinématographiquement sans relief. Elle est réalisée de juin à août 1953 en majorité aux studios madrilènes de la Sevilla Films et, pour l’arrivée du roi, dans la zone forestière du Mont du Pardo, au nord de la capitale. Fernando Rey joue Philippe II, personnage que l’acteur trouve antipathique mais qu’il interprétera encore deux fois (dans El Greco de Luciano Salce et Mel Ferrer en 1966 et dans Cervantes de Vincent Sherman en 1967).
1955/56* Der Richter von Zalamea (DE-RDA) de Martin Hellberg
Paul Ramacher/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 104 min. - av. Hansjoachim Büttner (Pedro Crespo), Gudrun Schmidt-Ahrends (Isabel Crespo), Albert Garbe (cpt. Don Alvaro de Ataide), Albert Garbe (Don Lope de Figueroa), Günther Ballier (le roi Philippe II), Rolf Ludwig (Rebolledo), Ursula Braun (La Chispa), Annegret Golding (Inés), Alexander Papendiek (Juan Crespo), Raimund Schelcher (le sergent).
Partant de sa propre mise en scène du drame à la Berliner Volksbühne (Berlin-Est), Martin Hellberg en livre une version stylisée mais intéressante, filmée dans les studios de Babelsberg, en Allemagne de l'Est ; l’utilisation des espaces, la remarquable direction d’acteurs et la prestation de Hansjoachim Büttner font oublier l’origine théâtrale de l’intrigue. Les autorités communistes froncent les sourcils, l’approche de Hellberg n’étant idéologiquement pas claire faute d’adéquation avec le présent, même si l’on y fête la « victoire du peuple ». Des membres obtus du parti accusent le film de diffuser de la propagande cléricale et réactionnaire dans un emballage « culturel ».
1958(tv-th) L’Alcade de Zalamea (FR) de Marcel Bluwal
RTF (1e Ch. 18.2.58), 103 min. - av. Jacques Mauclair (Pedro Crespo), Vera Finbert (Isabelle Crespo), Lucie Arnold (Inès), René Arrieu (le capitaine Don Alvaro de Ataide), Robert Porte (le roi Philippe II), Aimé Clariond (le gén. Don Lope de Figueroa), Charles Denner (le sergent), Paul Crauchet (Don Mendo), Jacques Bernard (Juan Crespo), Albert Remy (Rebolledo), Micheline Bona (l’Étincelle), Gaëtan Noël (Nuno), Jean-Jacques Steen (le greffier). – Dramatique enregistrée aux studios des Buttes-Chaumont à Paris dans une adaptation signée Alexandre Arnoux. La musique est de Georges Delerue ; il la réutilisera trois ans plus tard pour la courageuse mise en scène de la pièce par Jean Vilar (TNP) en juillet 1961 à Avignon - au moment du putsch des généraux félons de l’OAS contre de Gaulle, prétexte à des comparaisons (l'armée vs. État de droit).
1958(tv-th) Der Richter von Zalamea (DE) de Konrad Wagner
Nord- und Westdeutscher Rundfunkberband/NWRV (ARD 19.6.58), 66 min. - av. Alfred Schieske, Leonard Steckel, Richard Lauffen, Volker Brand, Katja Kessler, Ursula Thomas, Malte Jeager.
1967(tv-th) El alcalde de Zalamea (ES) de Federico Ruiz
Série « Teatro de siempre », Radiotelevisión Española, Madrid (TVE). – av. Fernando Delgado (Pedro Crespo), Luis Cardona (Isabel Crespo), Joaquín Pamplona (Rebolledo), Nicolás Dueña (Juan Crespo), Paco Morán (Don Alvaro de Ataide), Julia Peña (Inés), Pablo Sanz (Don Lope de Figueroa), Roberto Llamas (le roi Philippe II), Carlos Villafranca (le sergent).
1968(tv-th) El alcalde de Zalamea (ES) d’Alberto González Vergel
Série « Estudio 1 », Diego G. Solórzano/Radiotelevisión Española, Madrid (TVE 26.3.68). – av. José María Prada, Ana María Vidal, Emilio Gutiérrez Caba, Pablo Sanz, Sancho Gracia, Alicia Hermida (La Chispa), Enrique Cerro, Manuel Salgueró, José Enrique Camacho, María José Fernández, José María Navarro, José Caride, Victor Fuentes, Carmen Sánchez.
1968(tv-th) Der Richter von Zalamea (DE) d’Oswald Döpke
Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF 2.10.68), 75 min. – av. Paul Dahlke (Pedro Crespo), Wolfgang Büttner (Don Lope de Figueroa), Kornelia Boje (Isabel Crespo), Michael Degen (le cpt. Don Alvaro de Ataide), Edgar Hoppe (Juan Crespo), Cordula Wiedemann (Inés), Wolfgang Engels (le roi Philippe II), Gisela Trowe (Chispa), Horst Michael Neutze (Rebolledo), Conny Palme (le sergent), Gerd Baltus (Don Mendo), Heinz Schubert (Nuno), Hans Karl Friedrich (le scribe).
1970(tv) Pedro Crespo, alcalde de Zalamea (ES) d’Eugenio García Toledano
Série « Personajes a trasluz », Radiotelevisión Española, Madrid (TVE 14.7.70), 30 min. – Pablo Sanz, Alberto Solá, Maite Brik, Juan José Otegui (le journaliste). – Une interview fictive de Pedro Crespo, le juge de Zalamea.
L’alcade de Zalamea (Francisco Rabal) tient fièrement tête aux soldats du roi (1973).
1973** (ciné+tv) La leyenda del Alcalde de Zalamea (La Légende de l’alcade de Zalamea) (ES/IT) de Mario Camus
Série TVE « El teatro », Francisco Molero/ Radiotelevisión Española, Madrid (TVE)-Radiotelevisione Italiana (RAI)-Suevia Films P.C. (Cesáreo González, Madrid) (TVE 2.6.75), 116 min. - av. Francisco Rabal (Pedro Crespo), Fernando Fernán-Gómez (gén. Don Lope de Figueroa), Julio Nuñez (cpt. Don Alvaro de Ataide), Teresa Rabal (Isabel Crespo), Mario Pardo (Juan Crespo), Charo López (Leonor Crespo), Sonsoles Benedicto (Inés Crespo), Fernando Nogueras (le roi Philippe II), Antonio Iranzo (le sergent), Josele Román (La Chispa), Antonio Medina (cpt. Don Juan), Ramiro Oliveros (cpt. Don Diego), Luis Marín (Rebolledo), Alberto Fernández (Escribano), Fernando Sánchez Polack (Alguacil), Concha Rabal (Ginesa), Gregorio Panague (l’aveugle), Ramón Centenero (l’adjudant).
Le scénario d’Antonio Drove réunit l’intrigue de la pièce de Calderón et celle attribuée à Lope de Vega. On commence par un flash-back : le commandant en chef Don Lope de Figueroa constate que Crespo a fait condamner et enchaîner trois officiers pourtant nobles et chevaleresques parce qu’ils auraient violé Isabel, Inés et Leonor, les trois filles de l’alcade. Don Lope menace de faire cannoner Zalamea quand survient le roi... Isabel et Leonor se sont laissées séduire par deux autres officiers, Don Juan et Don Diego, contre une promesse fallacieuse de mariage ; Crespo impose ce mariage mais apprend que les deux officiers ont l’intention d’assassiner leurs épouses une fois en route pour le Portugal et ils subissent, comme Don Alvaro, le supplice du garrot. Reste le cas de Juan Crespo, qui a tué un soldat pour défendre sa sœur, crime également passible de mort. Le roi ayant laissé à l’alcade la décision d’appliquer ou non la loi sur son propre fils, Don Lope coupe court au conflit de conscience paternel en récupérant le jeune homme pour son armée. Inés et Leonor se feront nonnes, Isabel veillera sur son vieux père... Mario Camus, cinéaste marquant de la Nouvelle Vague espagnole (Ours d’or à Berlin en 1983 pour La Colmena/La Ruche, primé à Cannes 1984 pour Los Santos innocentes) bénéficie d’un budget conséquent pour cette production de prestige, tournée en Eastmancolor en avril 1973 à Garrovillas de Alconétar, près de Cáceres (Estrémadure) avec plus de 300 figurants. Son film, dramatiquement soutenu, est fidèle à l’esprit de l’œuvre littéraire sans une trace de théâtralité.
1981(tv) El alcalde de Zalamea (ES) de Fernando Fernán Gómez
Série « Teatro estudio », Radiotelevisión Española, Madrid (TVE 12.8.81), 90 min. – av. Fernando Fernán Gómez (Pedro Crespo), Julio Núñez, Francisco Rabal, Teresa Rabal. – Reprise de la mise en scène de 1979 au Centro Cultural de la ville de Madrid.