XIV - PAVILLON NOIR: ÉPOPÉES MARITIMES DU XVIIe-XVIIIe s.

« Against all Flags » (« A l’abordage ! ») de George Sherman (1952).
1. 1. PIRATES, FLIBUSTIERS, BOUCANIERS ET CORSAIRES (personnages historiques)
Les pirates (du grec peiratês signifiant « tenter sa chance à l’aventure ») sévissent depuis l’Antiquité ; il s’adonnent au banditisme sans foi ni loi, pillent les bateaux, massacrent leurs équipages et s’attaquent parfois à de petites villes côtières. De 1690 à 1725, entre trois et cinq mille pirates écument les mers, sillonnent tous les océans connus, avec une prédilection pour les routes commerciales des Caraïbes, entre l’Europe et ses colonies. Quoique attirés par les richesses considérables du Nouveau Monde, ils récoltent moins de l’or (les fameux « trésors de pirates », un mythe) que des cargaisons marchandes susceptibles d’être revendues à des commerçants peu regardants. Leur pavillon est généralement noir et orné d’une tête de mort surmontant deux tibias entrecroisés. Leur « code d’honneur » et leur organisation sociale (élection démocratique des dirigeants, conseil des marins, partage du butin) varient selon les cas ; propriétaire de son navire, le capitaine Kidd touchait par exemple trente-cinq parts, alors qu’un marin expérimenté devait se contenter d’une seule. La flibuste n’est ni facile ni lucrative. Contrairement aux stéréotypes répandus par la littérature et le cinéma – œil crevé et jambe de bois – peu de pirates mangent à leur faim ou deviennent riches. « No prey, no pay », pas de prise, pas de paie : la plupart meurent jeunes, au combat, en luttes intestines… ou pendus. La fameuse « république pirate » de Libertalia, sur l‘île de Madagascar, organisée en une sorte d’État libertaire et hédoniste, est probablement une légende propagée par le capitaine Charles Johnson alias Daniel Defoe (« A General History of the Pyrates », 1724), par ailleurs l’auteur de « Robinson Crusoé ».
Les flibustiers (terme dérivé du néerlandais vrijbuiter, devenu freebooter en anglais et Freibeuter en allemand) sont des aventuriers qui écument et dévastent les possessions espagnoles en Amérique (« Spanish Main »). Ils sont composés surtout de Français, de Hollandais et d’Anglais exilés aux Antilles à partir du début du XVIIe siècle pour fuir guerres civiles, persécutions religieuses ou pressions économiques. Après en avoir expulsé les Espagnols en 1627, la plupart s’installent sur l’Île haïtienne de la Tortue (Tortuga), au large d’Hispaniola, qui sert d’escale et de port de ravitaillement. L’île est reprise par les Espagnols en1630, puis cédée aux Anglais, enfin conquise par les Français ; le gentilhomme huguenot François Levasseur est nommé gouverneur et accorde aux flibustiers des autorisations (pas toujours valides) pour piller les navires espagnols, soit un statut ambigu à mi-chemin entre le corsaire et le pirate. Avec l’entrée en guerre de l’Angleterre contre les Provinces-Unies, des flibustiers britanniques s’en prennent aux intérêts hollandais. Dans les années 1680, quand la France et l’Angleterre décident de les disperser, certains flibustiers se dirigent vers les côtes d’Afrique, d’autres vers l’océan Pacifique ou s’établissent aux Galapagos et dans l’archipel Juan Fernández.
La population de l’île de la Tortue se renforce avec l’arrivée de colons européens (notamment protestants) et des boucaniers. A l’origine, ces derniers sont des coureurs des bois de Saint-Domingue qui chassent les bœufs et cochons sauvages pour en boucaner la viande, c’est-à-dire la sécher à la fumée sur un gril de bois appelé boucan. Ils sont constitués de marins déserteurs, de naufragés, de colons appauvris, de renégats, de parias et d’esclaves en fuite. Associés aux flibustiers sous l’appellation « Frères de la Côte », ils vivent de contrebande (viande, cuir, tabac, armes, munitions, vêtements). Ils sont bien introduits dans le marché économique, possèdent leurs comptoirs, mais, très solidaires entre eux, n’ont ni chefs ni protecteurs : ils forment une contre-société libertaire et égalitaire. Sur mer, leur adresse au fusil les rend particulièrement redoutables, car ils sont capables de supprimer à distance une bonne partie de l’équipage adverse, évitant ainsi l’abordage et la proximité des canons.
Quant aux corsaires, ce sont des civils faisant la guerre sur mer avec l’autorisation de leurs gouvernements respectifs (grâce aux lettres de marque), selon les lois de la guerre, avec un statut équivalent aux militaires, mais en indépendant, sans être soumis à l’autorité d’un état-major. Seuls le navire ennemi et le fret font l’objet de leurs prises et ils respectent en général la vie et les biens personnels. En temps de paix toutefois, certains corsaires désœuvrés s’adonnent à la piraterie, et tout corsaire capturé est considéré comme un pirate par l’État ennemi.
Est-il besoin de préciser que le cinéma ne fait guère de distinction entre ces différentes catégories ? À l’écran, ces loups de mer sévissent dans une extra-territorialité qui fait des Caraïbes, avec le Far West américain, une des dernières terres d’utopie du XXe siècle. Hollywood y projette facilement une vision de la société républicaine idéale, fruit d’un renversement révolutionnaire (mutinerie) aboutissant à une fratrie autogérée « qui ignore le Droit mais respecte la Justice » (C.-M. Bosséno). Selon la provenance ou la décennie de fabrication du produit (et la star à l’affiche), le cinéma présente ses baroudeurs bronzés, toutes tendances confondues, tantôt comme des redresseurs de torts chevaleresques poussés temporairement à la piraterie par la cruauté de leurs persécuteurs, tantôt comme des victimes de la société, des rebelles anarchistes, des agents infiltrés de l’ordre établi, de sympathiques canailles ou de joyeux forbans sans états d’âme.
Yohoho, et une bouteille de rhum !
Les flibustiers (terme dérivé du néerlandais vrijbuiter, devenu freebooter en anglais et Freibeuter en allemand) sont des aventuriers qui écument et dévastent les possessions espagnoles en Amérique (« Spanish Main »). Ils sont composés surtout de Français, de Hollandais et d’Anglais exilés aux Antilles à partir du début du XVIIe siècle pour fuir guerres civiles, persécutions religieuses ou pressions économiques. Après en avoir expulsé les Espagnols en 1627, la plupart s’installent sur l’Île haïtienne de la Tortue (Tortuga), au large d’Hispaniola, qui sert d’escale et de port de ravitaillement. L’île est reprise par les Espagnols en1630, puis cédée aux Anglais, enfin conquise par les Français ; le gentilhomme huguenot François Levasseur est nommé gouverneur et accorde aux flibustiers des autorisations (pas toujours valides) pour piller les navires espagnols, soit un statut ambigu à mi-chemin entre le corsaire et le pirate. Avec l’entrée en guerre de l’Angleterre contre les Provinces-Unies, des flibustiers britanniques s’en prennent aux intérêts hollandais. Dans les années 1680, quand la France et l’Angleterre décident de les disperser, certains flibustiers se dirigent vers les côtes d’Afrique, d’autres vers l’océan Pacifique ou s’établissent aux Galapagos et dans l’archipel Juan Fernández.
La population de l’île de la Tortue se renforce avec l’arrivée de colons européens (notamment protestants) et des boucaniers. A l’origine, ces derniers sont des coureurs des bois de Saint-Domingue qui chassent les bœufs et cochons sauvages pour en boucaner la viande, c’est-à-dire la sécher à la fumée sur un gril de bois appelé boucan. Ils sont constitués de marins déserteurs, de naufragés, de colons appauvris, de renégats, de parias et d’esclaves en fuite. Associés aux flibustiers sous l’appellation « Frères de la Côte », ils vivent de contrebande (viande, cuir, tabac, armes, munitions, vêtements). Ils sont bien introduits dans le marché économique, possèdent leurs comptoirs, mais, très solidaires entre eux, n’ont ni chefs ni protecteurs : ils forment une contre-société libertaire et égalitaire. Sur mer, leur adresse au fusil les rend particulièrement redoutables, car ils sont capables de supprimer à distance une bonne partie de l’équipage adverse, évitant ainsi l’abordage et la proximité des canons.
Quant aux corsaires, ce sont des civils faisant la guerre sur mer avec l’autorisation de leurs gouvernements respectifs (grâce aux lettres de marque), selon les lois de la guerre, avec un statut équivalent aux militaires, mais en indépendant, sans être soumis à l’autorité d’un état-major. Seuls le navire ennemi et le fret font l’objet de leurs prises et ils respectent en général la vie et les biens personnels. En temps de paix toutefois, certains corsaires désœuvrés s’adonnent à la piraterie, et tout corsaire capturé est considéré comme un pirate par l’État ennemi.
Est-il besoin de préciser que le cinéma ne fait guère de distinction entre ces différentes catégories ? À l’écran, ces loups de mer sévissent dans une extra-territorialité qui fait des Caraïbes, avec le Far West américain, une des dernières terres d’utopie du XXe siècle. Hollywood y projette facilement une vision de la société républicaine idéale, fruit d’un renversement révolutionnaire (mutinerie) aboutissant à une fratrie autogérée « qui ignore le Droit mais respecte la Justice » (C.-M. Bosséno). Selon la provenance ou la décennie de fabrication du produit (et la star à l’affiche), le cinéma présente ses baroudeurs bronzés, toutes tendances confondues, tantôt comme des redresseurs de torts chevaleresques poussés temporairement à la piraterie par la cruauté de leurs persécuteurs, tantôt comme des victimes de la société, des rebelles anarchistes, des agents infiltrés de l’ordre établi, de sympathiques canailles ou de joyeux forbans sans états d’âme.
Yohoho, et une bouteille de rhum !
Rappel :
Le corsaire anglais Sir FRANCIS DRAKE (v. 1540-1596)
- cf. Renaissance : Angleterre s. Elisabeth Ie
Le pirate allemand KLAUS STÖRTEBEKER (v. 1360 -1401)
- cf. Renaissance : Allemagne
Les pirates barbaresques et corsaires ottomans (Khayr ad-Dîn BARBEROUSSE, etc.)
- cf. Renaissance : Ottomans
Le corsaire français JEAN BART (1650-1702)
- cf. France s. Louis XIV (3)
Le corsaire français et baron d’Empire ROBERT SURCOUF (1773-1827)
- cf. XIXe siècle, France s. Napoléon
Les corsaires turcs sur les côtes de la Tripolitaine (1805/06)
- cf. XIXe siècle, Etats-Unis : la crise de Tripoli (1.3)
Le boucanier français JEAN LAFITTE (v. 1780- ?)
- cf. XIXe siècle, Etats-Unis : Deuxième guerre d’Indépendance (1812-1815) (1.6)
Le corsaire anglais Sir FRANCIS DRAKE (v. 1540-1596)
- cf. Renaissance : Angleterre s. Elisabeth Ie
Le pirate allemand KLAUS STÖRTEBEKER (v. 1360 -1401)
- cf. Renaissance : Allemagne
Les pirates barbaresques et corsaires ottomans (Khayr ad-Dîn BARBEROUSSE, etc.)
- cf. Renaissance : Ottomans
Le corsaire français JEAN BART (1650-1702)
- cf. France s. Louis XIV (3)
Le corsaire français et baron d’Empire ROBERT SURCOUF (1773-1827)
- cf. XIXe siècle, France s. Napoléon
Les corsaires turcs sur les côtes de la Tripolitaine (1805/06)
- cf. XIXe siècle, Etats-Unis : la crise de Tripoli (1.3)
Le boucanier français JEAN LAFITTE (v. 1780- ?)
- cf. XIXe siècle, Etats-Unis : Deuxième guerre d’Indépendance (1812-1815) (1.6)