III - L’ITALIE

7. ITALIE MÉRIDIONALE : LES ROYAUMES DE SICILE ET DE NAPLES

Après le passage dévastateur des Vandales et des Ostrogoths au Ve siècle, les armées de l'empereur byzantin Justinien se sont engagées dans une opération de reconquête de l'Italie (cf. chap. 1). En 535, le général Bélisaire occupe la Sicile et prend Palerme. Creuset culturel, parfois aussi terre d'exil forcé où l'on parle couramment latin et grec, l'île devient une base arrière des opérations militaires de Byzance contre l'Italie péninsulaire tout en restant officiellement rattachée à l'Église romaine. Mais les razzias arabes commencent avec le pillage de Syracuse en 669 et la prise de Pantelleria en 700 ; Palerme tombe en 831, Taormine en 902 et en 916, toute la Sicile, devenue un émirat, passe sous contrôle des Fatimides, maîtres du Maghreb.

De 1060 à 1090, une fratrie de hobereaux normands, Robert (dit Guiscard) et Roger de Hauteville envahit l'île avec l'onction du pape Nicolas II et en fait un état indépendant, voisin direct des États pontificaux. Pour assurer sa liberté, Roger contraint le Saint Père de le nommer légat apostolique tandis que son fils Roger II instaure un régime de tolérance religieuse pour les musulmans, qui conservent leurs lieux de culte et leurs tribunaux, ainsi qu'une politique basée sur une administration cosmopolite impliquant Latins, Gréco-Byzantins et Arabes. L'immense Royaume normand de Sicile créé par les Hauteville inclut l'île de Sicile, la Calabre, les Pouilles, Naples, Capoue, Pescara et, pour un temps limité, même des territoires en Afrique (l'actuelle Tunisie).

Petit-fils de Roger II, Frédéric II de Hohenstaufen, empereur charismatique du Saint-Empire germanique qu'on surnommait stupor mundi (la " stupéfaction du monde "), duc de Souabe, roi des Romains, de Sicile, de Provence-Bourgogne et de Jérusalem, représente la prolifique période souabe du royaume sicilien qui dure de 1194 à 1268. Le monarque gibelin est d'une ouverture d'esprit rare, parle six langues (italien, allemand, latin, grec, hébreu et arabe), se passionne pour les mathétiques, les beaux-arts, la médecine, les sciences naturelles, la vènerie, l'architecture, la mystique et accueille des savants du monde entier à sa cour. En conflit permanent (et armé) avec la papauté, il se voit excommunié par deux fois (Grégoire IX l'appelle " l'Antéchrist "), alors qu'il mène à bien la VIe Croisade (1225 à 1229), la seule croisade pacifique d'Occident, parvenant grâce à ses amitiés arabes à signer avec le sultan Al-Kâmil le traité de Jaffa (1229) par lequel Jérusalem, Nazareth et Bethléem sont restitués aux Latins pour une durée probatoire de dix ans.

En 1268, la victoire de Charles Ier d'Anjou (le jeune frère de Saint Louis, défunt roi de France) sur le petit-fils de Frédéric II, Conradin de Hohenstaufen, instaure le règne des Français angevins, soumis au Saint Siège. La dynastie guelfe d'Anjou, installée en majorité non plus à Palerme mais sur le continent à Naples, provoque bientôt le mécontement des Siciliens insulaires suite à des fiefs distribués à des Français, des impôts, monopoles royaux et privilèges déplacés. Le 30 mars 1282, le jour de Pâques, les Palermitains et les Corleonais se révoltent contre l'occupant et massacrent 800 Angevins, dont toute la garnison. Ce bain de sang surnommé " Vêpres siciliennes " signe la fin de la domination française sur l'île, même si le soulèvement populaire reste local et ne s'étend pas au delà du détroit de Messine.

Le royaume de Naples naît de cette scission de fait du royaume de Sicile. Chassé de Palerme par la population locale avec le soutien des Aragonais, Charles d'Anjou ne se maintient que sur la partie continentale du royaume et choisit Naples pour capitale ; celle-ci devient bientôt un des centres culturels de l'Italie, dont la cour est fréquentée par Giotto, Pétrarque et Boccace. Frédéric III d'Aragon prend le nom de Frédéric II de Sicile en 1295 dans le vain espoir de maintenir l'indépendance sicilienne face aux Angevins de Naples et au pape, Boniface VIII. Ce dernier exige l'élimination de la dernière place-forte islamique du territoire, Lucera (Pouilles). Après un long siège en 1300, la cité est détruite, hommes, femmes et enfants sont massacrés tandis que 10'000 survivants sont enchaînés et vendus au marché des esclaves ou contraints à se convertir au christianisme. Enfin, en 1442, le roi Alphonse V d'Aragon s'empare du royaume de Naples ainsi que de la Sicile et se fait nommer " roi des Deux-Siciles ", territoire ayant désormais Naples pour capitale et qui devient une dépendance de la Couronne d'Aragon. L'Église romaine et sa toute-puissante Inquisition s'y installent en force, appuyés par les Rois catholiques d'Espagne à partir de 1492. Au printemps 1516, Charles Quint intègre le Royaume des Deux-Siciles à l'immense Empire espagnol.
Possession byzantine, l'archipel de MALTE est conquis et colonisé par les Arabes en 870. En 1090, les Normands de Roger de Hauteville s'en emparent et en 1127, l'archipel passe sous domination sicilienne. Entre 1240 et 1250, Frédéric II en expulse les musulmans, quoique beaucoup se convertissent pour rester dans les îles. Pendant cette période, les Maltais se rechristianisent mais conservent leur langue, l'arabe maltais proche de l'arabe maghrébin, tout en empruntant massivement une partie de leur vocabulaire au sicilien et à l'italien. En 1530, Charles Quint concède l'archipel en fief aux chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (chassés de Rhodes par les Ottomans) qui y font édifier plusieurs fortifications en vue de mettre l'île en état de défense contre les armées turques. Le Grand Siège de Malte, qui s'étire de mai à septembre 1565, se termine par la déroute des Ottomans de Mustapha Pacha. La domination de l'Ordre prendra fin en 1798 avec la prise de l'archipel par Bonaparte en route pour l'Égypte.